Baudouin de Saint-Exupéry
Le roi Nom fut réveillé en sursaut. « Sire ! Sire ! On a un problème ! » son majordome et bras droit, Zazou venait d’entrer dans la chambre royale en trombe. « Un gros problème même ! »
Zazou ne ce n’était pas toujours appelé ainsi, le roi Nom étant fan du Roi Lion lui avait donné ce surnom pour faire plus chic, plus royal… comme dans le dessin animé soutenait-il. Le roi avait eu beau remuer ciel et terre il n’avait pu trouver de Calao à bec rouge comme dans le Disney, Zazou était en fait un héron mais faisait très bien l’affaire. Il devait selon le protocole se mettre du rouge à bec tous les matins parce que quand même il fallait que ça ait « un minimum de standing sinon on nous prendrait pour des pignoufs » selon les dires du roi. Il n’y a pas si longtemps que ça à une époque dont le héron, ne se souvient guère (dû à ses troubles de l’alcoolisme) il était appelé « Queue de Pelle » par les habitants du Royaume ; ayant un penchant solide pour la bouteille à cette époque-là, on aimait dire « Le héron comme une Queue de Pelle » et le surnom était resté. Mais ça c’était bien avant que Nom arrive sur le trône…
En fait Nom était son nom de sacre, quand le scribe hérisson lui avait demandé le nom qu’il voulait porter tout au long de son règne il avait demandé selon le protocole ancestral : « C’est qui ton Nom ? » et Nom de répondre « Bah non » car il avait cru entendre « C’est oui ou non ? » et comme il ne comprenait déjà pas grand-chose depuis le début de la cérémonie d’investiture, il avait répondu « Non » en pensant avoir une chance sur deux. (Stratégie bien connu des imbéciles s’il en est pour sortir d’une question fermée qu’ils ne comprennent pas. A tous mes lecteurs imbéciles vous n’inquiétez pas ce conseil est gratuit et ça vous changera du tristement célèbre : C’est pas faux).
Le « Nom » lui était resté et même si le roi avait demandé plusieurs fois de changer de nom (c’est le cas de le dire) sa requête n’avait jamais abouti car « Vous comprenez Sire déjà que la population a du mal à comprendre qui est le roi, si en plus il change de nom c’est galère, ‘fin on ne s’en sort pas » lui avait répondu le hérisson surtout parce qu’il était flemmard et de l’administration donc deux bonnes raisons de ne pas répondre favorablement à cette demande.
Bref le roi Nom avait hérité du trône avec tout le mérite de sa personne, par héritage paternel. En effet Nom faisait partie d’une grande lignée d’hippopotames qui étaient au pouvoir depuis maintenant une génération car c’est son père qui l’avait récupéré des éléphants lors de la 3e révolte des crocodiles à cause d’une augmentation des prix du beurre doux…Mais il serait trop compliqué de refaire l’histoire du royaume maintenant, alors que comme la déjà répété par deux fois le héron Zazou : il y a un problème…
« Qui a-t-il mon bon Zaz ? », répondit la tête du Roi qui émergeait de la pile d’oreillers empilés au bout du lit, et il bailla dévoilant ainsi une rangée de dents à la propreté plus que contestable et une glotte maronnasse qui aurait pu faire penser que le roi fumait, mais la cigarette n’existe pas dans ce royaume.
« Il est déjà 8h30 ?
– Sire il est 13h05, j’ai oublié de vous réveiller mais ce n’est pas pour ça que je viens déranger votre auguste sommeil et votre repos bien mérité par une dure journée de labeur et d’exercices tant physiques qu’intellectuels…
– Suffit parle mon loyal ami, le coupa l’hippopotame qui de toutes façons ne savait pas ce que voulait dire « labeur ».
Il sauva le héron qui ne savait pas comment finir cette phrase déjà trop longue. Zazou poursuivit : « Eh bien Sire il y a comme un vent de protestations dans la population, des gens murmurent contre le régime, certains proclament même à voix haute des insultes et…
– C’est une révolte ? demanda le roi qui se redressa pour s’assoir sur son lit.
– Non, Sire, c’est une révolution ! »
La dernière phrase c’est Klebs qui l’avait prononcé, Klebs était l’homme de main du roi ou plutôt le buffle de patte car il s’agit là d’un buffle qui sert un roi hippopotame. Il était endormi comme toujours au pied du lit du roi et l’agitation l’avait réveillé.
Le problème avec Klebs c’est qu’il ne comprenait jamais rien et disait des phrases dont personne ne saisissait jamais le sens. Le roi appréciait sa compagnie car il était pour lui un compagnon, un ami et qu’à part Zazou et Klebs, Nom n’avait pas beaucoup d’amis. Le roi s’était donc attaché à cette boule de poils qu’il avait affectueusement appelé Klebs car il le traitait comme un chien et que l’orthographe n’était pas le fort du roi, ni du royaume d’ailleurs.
Klebs avait de ça d’affectueux qu’il était fidèle au roi malgré son incapacité à se faire comprendre et son retard mental certain. Il s’asseyait également sur la tête des opposants politique leur assurant une mort certaine et permettait ainsi au roi Nom d’asseoir son autorité.
Je vous vois venir en remettant en cause l’idée de mort certaine dû au fessier d’un buffle, dans le cas où par exemple l’opposant serait un éléphant… Mais ! Ayant été décimé par de nombreuses guerres et de mauvaises grippes il n’en restait plus qu’un et en plus il était vieux et boiteux et il avait surtout autre chose à faire que d’être un opposant politique donc c’est complétement hors de propos !
« Euh certes, couché Klebs, le coupa ainsi le roi, eh bien allons voir ses chouineurs alors ! Mais avant tout petit déj ! » Zazou soupira, il y en avait pour des plombes et en plus personne ne petit déjeune à 13h07.
Après avoir dégusté moult ripailles, à base d’opposants politiques et d’innocents citoyens qui se trouvaient aux mauvais endroits aux mauvais moment, le tout servi au lit dans des plats d’argent, le roi s’écria : « C’est bon nous pouvons y aller, j’avais la dent creuse !
– Encore cette vilaine carie Sire ? rétorqua Zazou, vous devriez consulter et essayer pour une fois de ne pas refermer la bouche quand le dentiste est à l’intérieur (en effet les dentistes royaux étaient des oiseaux au long bec remplacé chaque mois à la suite de disparitions dont les raisons n’était pas révélé au grand public.
– Je vous l’ai déjà dit c’était un accident…enfin des accidents…et puis je ne parlais pas de ça je disais que… et puis peu importe, nous pouvons partir ! »
Zazou assit sur un siège en face du lit royal reposa la bouteille de whisky qu’il venait de porter à ses lèvres pour la 14ème fois depuis ce matin, consulta sa montre et annonça : « 15h30, on peut y aller, Klebs tu viens avec nous on ne sait jamais »
Le trio sorti du palais et Zazou dirigea le groupe vers le bord de la rivière où la garde royale tenait en respect depuis ce matin un individu forcené qui vociférait des insultes à l’encontre du souverain.
Alors qu’ils s’approchaient Zazou reconnut directement l’individu forcené que la garde entourait depuis ce matin en attente du roi, c’était Bouzillator 3000, un individu qui avaient le sang chaud comme la plupart des membres de son espèce.
« Vous n’avez pas le droit de me garder en otage comme ça ! vociférait-il, j’ai le droit de le dire que je suis contre ce souverain analphabète et raciste qui… », il s’arrêta soudain au milieu de sa phrase. Il mit la tête contre terre, et fut bientôt suivi de tous les gardes qui l’entourait. En effet il avait vu le roi arriver vers eux entouré de Zazou et de Klebs et il était d’usage de mettre sa tête contre le sol à l’arrivée du roi. Ce salut protocolaire avait été édicté par le roi Nom qui trouvait plus facile pour Klebs d’écraser la tête des gens en s’asseyant dessus si celles-ci étaient déjà à terre.
« Continue machin…euh… Sérieusement ? » Zazou venait de lui souffler à l’oreille le véritable nom de Bouzillator 3000. « Continue… Bouzillator 3000… ton discours commençait à m’intéresser…. Pfff ce nom est quand même ridicule pour un lapin ! »
Le lapin se redressa « C’est que Sire on prétend…, enfin comment dire…, j’ai entendu que…que vous êtes sérieusement remonté contre les lamas et que vous négligiez cette race plus que tout autre, on trouve ce comportement comme une rupture d’égalité et on ne sait comment manifester notre désaccord.
– La rumeur… les lamas… mais je n’ai jamais affirmé ça ! Quelle est ta source lapin ? répond et ne craint pas mon courroux je sais me montrer juste.
– Ma source est un peu plus loin à l’aval de la rivière, une eau fraiche et bonne en découle… »
En effet pour mieux organiser le royaume les animaux sont rattachés à la source la plus proche et l’administration du peuple se fait ainsi par source. « Je parlais de ton informateur, lâcha le roi sur un ton blasé.
– Ah ! La solidarité me ferait taire son nom…
Le roi fit les gros yeux.
– C’est Pollux le chimpanzé ! Je ne vois pas pourquoi je risquerais ma vie pour lui, il me doit vl’a de l’argent donc je ne pense pas que ça soit trop une trahison de vous dire que c’est lui qui m’a répété ça… »
Sprotch ! Klebs venait de s’asseoir sur le lapin dans un craquement d’os brisés et de chair aplatie.« Mais Klebs pourquoi …bégayait le roi Nom, ah j’ai compris ! Klebs a réagi quand le lapin a dit « ça soit » il a compris « s’assoit » et donc c’est assis dessus comme un bon chien. Ahah que c’est drôle ! » Et les gardes et Zazou de rire en chœur avec le roi.
Klebs comprenant qu’il était le centre de l’attention lâcha une phrase comme à son habitude : incompréhensible. « Dieu reconnaitra les siens.
– C’est ça ! Et là-dessus allons trouver Pollux » lança le roi tout joyeux ! Et la petite troupe se mis en marche tout en ricanant encore de la scène qui venait de se dérouler. »
Après une heure de marche, il fallut bien se rendre à l’évidence : personne du groupe ne savait où habitait Pollux. Zazou eut une idée : « Allons trouver le scribe hérisson il sait forcément où habite Pollux, c’est lui qui tient les registres !
– Pollux, Pollux… ah oui le chimpanzé ! Vous voulez le voir pour cette histoire de rumeur sur les lamas je présume, bien bah il habite à côté de la rivière… articula le hérisson qui feuilletait les registres dans la salle des archives.
– Comment savez-vous pour la rumeur ? Vous…vous lisez dans les pensées ? murmura le roi ébahi.
– Ah non c’est juste que je suis un peu au courant de ce qui se dit, vous savez l’administration c’est surtout du commérage…
– Tu savais et tu ne m’as rien dis ! vociféra le roi.
– Tu ne lui as rien dis ? ajouta Zazou qui n’en rate pas une pour fayoter quand il peut.
– Souviens-toi du vase de Soisson ! renchérit Klebs, heureux de comprendre qu’il allait briser un nouveau crâne.
– Non, Sire, c’est que…balbutia le hérisson décontenancé. Je…Vous ne m’aurez pas vivant ! » cria-t-il soudain et d’un mouvement brusque il se leva et sauta à travers la fenêtre sans que ni Zazou ni le Roi ni la garde ne puissent réagir…
Hélas on était seulement au premier et le hérisson n’avait réussi qu’à se casser les jambes. Ploutch ! fit sa tête quelques minutes plus tard en explosant quand Klebs s’assis dessus.
Un garde en profita pour poser au roi une question qui le taraudait depuis plusieurs minutes :
« Sire, pouvons-nous prendre congé ? Nous sommes en train de dépasser nos horaires, déjà que je n’ai pas pu poser mes RTT et que mes nuits sont courtes car la petite fait ses dents j’aimerais pouvoir rentrer chez moi pour me reposer… »
Le garde fixa le roi et ne décela aucunes réactions sur son visage. Il avait peur d’avoir dit une bêtise et de voir sa tête réduite à l’état de crêpe dans un futur proche. Le roi pouvait en effet se montrer susceptible et rapidement rendre plat ses interlocuteurs quand il était contrarié. Dans le langage courant on disait d’ailleurs que le roi « en faisait souvent tout un plat pour pas grand-chose ».
« Vous avez raison Machin, finit par répondre le roi, cette enquête piétine…Rentrons au palais. » Après avoir pris congé des gardes qui finalement n’ont pas servi à grand-chose dans cette aventure. Le Roi, le buffle et le héron rentrèrent au palais par les jardins et là des échanges de voix étouffée retinrent leurs attentions : « Fait gaffe ! Ce crétin va bientôt rentrer il pourrait nous surprendre.
– Encore un dernier aller-retour alors »
Deux chimpanzés étaient perchés sur la branche d’un grand sycomore mort et celle-ci donnait sur une fenêtre ouverte des appartements royaux. Après avoir glissé le long de la branche ils s’engouffrèrent à travers la lucarne et ressortir peu de temps après les bras remplis de bibelots et d’objets de valeurs. « Nom de nom mais qu’est ce qui se passe ici ! » hurla le roi Nom qui de temps en temps aimait bien se servir de son pseudonyme pour jurer.
Les deux chimpanzés s’arrêtèrent net dans leurs courses et lentement levèrent les bras libérant ainsi le fruit de leurs larcins qui s’écrasèrent en contrebas et ils descendirent rejoindre le roi. « Il y a erreur, étranger, nous sommes vitriers du Roi et nous nous occupons donc euh… de relever les factures de gaz et c’est par un hasard malencontreux que… » commença l’un d’eux.
– Tais-toi Pollux, le coupa son congénère, tu vois bien que c’est le roi…ce que tu peux être c…
– Silence ! aboya Nom, tu réponds bien au nom de Pollux toi, dit-il en désignant le chimpanzé
– Oui Sire.
– C’est donc toi qui colportes des racontars sur moi…Tu sais que je pourrais te faire écrabouiller. »
Klebs sourit. « Moi, mais non Nom ! Je vous assure je ne fais que vanter vos louanges j’ai même écrit une chanson ce matin :
Le Roi Nom il est trognon, tralalalalon
On peut dire qu’il est gentil tralalalali
Nom c’est son prénom tralalalalon
On l’aime beaucoup ici tralalalali
– Il suffit ! le coupa le roi qui commençait à s’énerver, tu as dit que je n’aimais pas les lamas, oseras-tu nier ?
– Ah ça non je ne nie pas, je vous l’ai entendu dire hier, j’étais sur la branche en face de la fenêtre et je vous ai entendu le dire à votre pote là, dit-il en désignant Zazou.
– Ma foi tu dis peut-être vrai, Zazou tu confirmes les dires de ce chimpanzé ?
– Je ne sais pas trop, répondit le héron, vous savez moi les ¾ du temps je suis bourré donc…
– Ah mais si ça me dit quelque chose !! lança le roi en se tapant le front, les lamas ce sont bien les méchants avec les dents et les griffes là ? Ceux avec qui on est entré en guerre hier ?
– Non, Sire, eux se sont les pumas… répondit Zazou
– Quel béta je suis, rétorqua le roi Nom, je confonds toujours les deux, ça a dû m’échapper hier !
– Ralliez-vous à mon panache blanc ! conclu Klebs. »
Et ils rirent.
Le mystère enfin résolu, le roi Nom remercia grassement le chimpanzé pour ses renseignements et le fit ministre des Finances pour le féliciter de son honnêteté. (Il fallut cependant éjecter le précédent ministre des Finances qui finit la tête écrabouillée pour simplifier la paperasse de passation).
Les révoltes furent vite contenues et elles finirent par s’arrêter quand le peuple s’aperçut qu’il n’y avait en fait aucun lama dans le royaume et que personne n’en avait jamais vu.