Le Monde d’hier. Souvenirs d’un européen

Die Welt von Gestern est l’ultime œuvre de Stefan Zweig. Le Monde d’hier a toutes les apparences d’une autobiographie. L’auteur retrace sa vie de la Vienne fin du XIXème à la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. Cependant, il attache peu d’importance à sa personne. Sa vie est un prétexte – ou pré-texte – pour raconter l’Europe qu’il a connue. 

Le Monde d’hier nous emporte dans la grandeur culturelle de l’âge d’Or viennois. Zweig raconte l’Europe d’une époque souvent fantasmée pour son élégance et sa foi dans le progrès. Dans sa jeunesse, il connaît Berlin, Zurich, Londres et Paris, ville de l’éternelle jeunesse. Il vit, à la Belle Époque, l’idéal d’une élite culturelle cosmopolite. De pays en pays, il côtoie nombre des génies de cette époque. Parmi les amis proches du jeune Stefan sont Sigmund Freud, Paul Valéry, Rainer Maria Rilke et Auguste Rodin pour ne pas les citer. 

Zweig parle avec détachement de ces amis d’exception. Le même détachement avec lequel il évoque sa brillante carrière d’auteur comme une chose secondaire. La force du style tranche avec la posture discrète de l’auteur. Sa modestie lui permet de s’effacer pour laisser, au premier plan, le paysage d’un monde disparu. 

L’auteur est spectateur, dans sa jeunesse, du sommet d’une Europe cosmopolite – dans le sens quasi aristocratique du terme. Les quais de Seine sont aussi familiers à l’auteur que les bords de Danube. Le mot cosmopolite n’a pas la connotation péjorative actuelle, venant accabler un dégénéré niant les particularités de chaque nation au nom d’une grande, plate et simpliste humanité. Au contraire, l’élite de l’esprit à laquelle appartient Zweig s’ouvre à chaque culture et en épouse les spécificités. Ne serait-ce que par la langue – l’Autrichien parlait et écrivait remarquablement le français, l’anglais et l’italien. 

C’est à cet esprit que rend hommage le Grand Budapest Hotel de Wes Anderson. Le réalisateur revendique les œuvres et les mémoires de Zweig comme source d’inspiration. Le film montre la splendeur d’un hôtel animé par l’esprit de ce monde d’hier grâce à M. Gustave, son concierge. 

Pendant la Grande Guerre, Zweig parvient à rallier la Suisse d’où il aura le courage de tenir des positions pacifistes. Derrière son ami Romain Rolland, il affiche des amitiés avec l’autre camp à une époque où la propagande alimente la ferveur xénophobe. Il publie notamment sa tragédie Jérémie, œuvre pacifiste injouable dans les pays en guerre. La haine de l’autre camp est la seule chose maintenant l’illusion d’une guerre juste. Dans une Europe exsangue, la chute des géants, dont la regrettable dissolution de l’Empire austro-hongrois, est un premier pas en dehors de la grandeur du XIXème siècle. 

Viennent les années frénétiques, celles où il faut danser et avancer vite pour laisser derrière une guerre comme l’Europe n’en verra jamais plus – du moins, elle l’espère. La sensibilité artistique du récit nous éloigne de la montée des idéologies dont on sent pourtant l’ombre sur les années trente. Le récit s’achève dans l’angoisse d’une Europe qui se suicide par une guerre totale. Ce point d’orgue est d’autant plus tragique quand l’on sait que Stefan et sa femme se donnent la mort en 1942, dans leur exil brésilien de Petrópolis. 

Nous conclurons en revenant au Grand Budapest Hôtel. Le film montre plus que le prestige d’un hôtel. Pour Wes Anderson, l’hôtel est un oasis dans un monde perdant les valeurs d’avant-guerre. Le contraste entre la splendeur de cet hôtel sous M. Gustave et son délabrement en seconde moitié de XXème siècle nous indique que ces valeurs ne vivent que par les personnes qui en sont animées. Avec Zweig, c’est ce monde d’hier qui disparaît. Il en reste le souvenir – et l’envie de le chérir. C’est un encouragement à se tourner vers le raffinement du monde d’hier pour donner plus d’éclat à celui d’aujourd’hui. C’est un appel à l’ouverture à d’autres langues et façons de penser dans une Europe moins uniforme qu’on ne le prétend. Un appel à embrasser la richesse culturelle du vieux continent. Loin d’être une vision passéiste du monde, cette philosophie invite chacun à rayonner d’une élégance et d’une courtoisie rendant notre société agréable à vivre. À vous d’être un gentleman du XXIème siècle pour, à votre mesure, « changer la vie ».

Jacques

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