Chroniques Martiennes – Aldous Huxley

Débuter un roman intitulé « Chroniques martiennes » en expliquant qu’il ne s’agit pas d’une œuvre de science-fiction, voilà le pari osé mais réussi d’Aldous Huxley. Malgré la présence de fusées, de martiens ou même de pouvoirs psychiques, les Chroniques empruntent davantage au burlesque, à l’absurde mais également au roman gothique. A travers ses nouvelles Huxley souhaite rendre hommage aux grands maîtres qui l’ont inspiré, Edgar Allan Poe en tête, tout en dressant l’apogée d’une civilisation, sa chute, sa reconstruction suivie d’une nouvelle chute. S’étalant sur vingt-sept ans les Chroniquespassent d’un portrait à un autre (de la femme au foyer au cosmonaute viril…) tandis que l’auteur parvient habilement à jongler entre différents tons et genres.

Ce cocktail surprenant parvient à ne pas devenir écœurant grâce au fil directeur de Huxley, presque la morale de toutes les nouvelles, qui est de présenter l’Homme comme un être plein de ressources mais extrêmement naïf et impulsif. Loin des récits de conquêtes spatiales classiques qui offrent une part belle à l’épique et au triomphe d’un certain impérialisme, les Chroniques pointent le ridicule absolu que de vouloir coloniser une planète étrangère alors que l’on ne connaît rien d’elle et alors que la Terre a déjà son lot de problème. Néanmoins, malgré l’omniprésence d’un cynisme cinglant envers le genre humain ce dernier est également pris en pitié. Tel un parent qui s’émeut des rêves utopistes de son enfant, Huxley est plein de compassion envers ces hommes et femmes qui tentent de réaliser l’impossible. C’est dans ces moments-là que le burlesque et le merveilleux prennent le pas sur l’absurde pour nous offrir des passages absolument hilarants. Il semble impossible de ne pas évoquer l’arrivée de la deuxième fusée terrestre sur Mars où ses voyageurs sont pris pour le fruit d’une hallucination martienne collective débouchant sur un massacre terriblement grotesque. Dans ce recueil, le vaudeville n’est jamais loin de l’horreur et inversement.

S’il y a bien un chapitre qui résume le mieux l’ouvrage c’est celui de la maison Usher. Hommage revendiqué à la nouvelle de Poe, ce texte mélangeant absurde, sang, horreur mais également mélancolie est à l’image du livre en lui-même. Ici ce n’est pas la maison Usher qui tombe en ruine mais bien toute une civilisation. Mais contrairement à la nouvelle originelle, Huxley laisse présager une pointe d’espoir non sans se priver de dénoncer la folie humaine. Les Chroniques Martiennes est un roman qui plaira à tous les amateurs de récits acides et cyniques et sera à même de faire travailler l’imagination des lecteurs de science-fiction. Et malgré la réticence de l’auteur à revendiquer ce genre, impossible de ne pas voir les fondements de ses futures œuvres, Fahrenheit 451 en tête.

Dr Freud

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