Lolita – Vladimir Nabokov

Je n’aime pas les introductions à rallonge et je préfère mettre les pieds dans le plat : Lolita, de Vladimir Nabokov, parle de pédophilie. Par ce thème si particulier, le roman m’a amenée à me reposer toutes ces questions qu’on ressasse sans cesse en littérature et plus généralement en art. Quel est le but du roman ? Doit-on séparer l’œuvre de l’auteur ? Peut-on trouver esthétique quelque chose de laid ou d’immoral ?

Pardonne-moi Nabokov ; dans ta note post-scriptum, tu affirmes avec nonchalance que tu n’accordes pas de but particulier à l’écriture d’un roman mais je voudrais ici creuser un peu plus ton livre.

Dans l’Amérique des années 1950, Humbert Humbert (oui, deux fois), un jeune veuf Européen, débarque fraîchement sur le Nouveau Continent. Dès le début du roman, il nous confie son mal, son obsession, son esthète qui le ronge. Il ne s’est jamais vraiment remis de son premier amour, alors qu’il avait treize ans. La grâce, la délicatesse et l’innocence étrangement sensuelle de sa congénère l’ont marqué pour l’éternité. Il ne retrouve cette beauté perdue qu’en observant les jeunes filles en fleur, les « nymphettes » comme il les appelle, résigné à ne jamais pouvoir les approcher.

Alors qu’un concours de circonstances fait qu’il loge chez une jeune veuve, il rencontre sa fille, Dolorès Haze, surnommée Lolita, âgée de douze ans.

Elle est l’archétype de la nymphette, l’Eldorado qu’il poursuivait. Boudeuse, capricieuse, énergique, joueuse, sensuelle, cynique, mais malgré tout innocente, elle est l’incarnation de cet esthétisme dévorant que poursuit Humbert. Il épouse alors la mère pour se rapprocher de la fille et le hasard (décidément bien de son côté) fait que Madame Humbert décède rapidement, faisant du héros le tuteur légal de Lolita. S’ensuit un road-trip à travers tous les États-Unis, où Lolita endosse le rôle ambigu et triple de compagne, d’amante et de fille.

Dans ses notes, Nabokov affirme qu’il ne voulait véhiculer aucune leçon de morale avec Lolita et la fin est à l’image de cet état d’esprit. Certes, le personnage d’Humbert est puni, il est incarcéré pour meurtre et pire encore, délaissé par Lolita depuis bien des années mais cette dernière vit dans un coin miteux avec son mari, un jeune rustre idiot mais gentil, en étant enceinte jusqu’au nez.

Reprenons. L’auteur nous livre une histoire qui raconte la relation entre un homme mûr et une fillette et il ne daigne à aucun moment de nous dire si c’est bien ou mal. Au contraire, le roman écrit à la première personne nous présente un Humbert qui n’a aucunement honte de ses penchants pédophiles. Il théorise tout au long des pages la beauté des « nymphettes », le pourquoi du comment de leur pouvoir d’attraction, et l’expérience esthétique et émotionnelle qu’il vit à leurs côtés.

Première question. Lolita fait-il l’éloge de la pédophilie ?
Ma réponse : Non mais je ne mettrais pas le livre entre toutes les mains.

C’est en effet le narrateur (et non l’auteur) qui fait une apologie de la pédophilie mais le lecteur avisé saura voir sans difficulté que nous lisons en réalité le témoignage d’un pervers qui se cache derrière la soi-disant poursuite d’un esthétisme. Humbert nous manipule à travers ses mots. Il apporte certes des arguments grossiers comme la construction sociale et légale qu’est l’âge de consentement mais il embrouille le lecteur de bien d’autres manières. En décrivant Lolita, son désir pour elle et ses sentiments ardents, il nous emporte malgré nous et nous tombons presque amoureux de Lolita à notre tour.

Cela s’explique certainement par les thèmes finalement universels qu’évoque Lolita. Rares sont les livres qui décrivent aussi bien l’attraction brûlante qu’on peut ressentir en voyant quelqu’un qu’on désire plus que tout. Nous avons tous déjà été impuissants face à la beauté d’un regard, la pulpe d’une bouche, la fermeté d’un ventre, le galbe d’un sein. Tout comme Humbert, nous sommes marqués par nos expériences, nos premières fois, que nous tentons assez vainement de revivre encore et encore. Et enfin, nous avons tous de près ou de loin vécu un amour interdit, ou du moins fort contrarié. Dès lors, je ne suis pas surprise que certaines personnes puissent mal interpréter les intentions de l’auteur. Il serait naïf d’ignorer le véritable courant stylistique qu’a inspiré Lolita, dressé en tant qu’icône pop, à tel point que le nom est passé dans le langage courant. Rien que sur les réseaux sociaux, le hashtag est encore bien présent lorsque que des jeunes femmes exhibent leur dernière tenue rappelant un uniforme d’écolière ou de poupée.

Lolita s’invite même dans la chambre à coucher ; on ne peut nier l’influence de l’œuvre de Nabokov dans les pratiques liées au « daddy kink », qui désigne l’attirance d’une jeune femme ou d’un jeune homme pour un homme beaucoup plus vieux, ou bien un simple jeu où l’un des partenaires tient le rôle de figure paternelle et agit comme telle. Loin de moi l’idée de juger ces pratiques mais je ne serais pas étonnée qu’une jeune lectrice peu attentive voit dans l’escapade des protagonistes un road-trip sexy et en Humbert un homme mûr et viril qui arrache Lolita à sa vie morne pour la couvrir de cadeaux et d’aventures. Et c’est bien ce qu’Humbert tente de nous faire croire ! Mais il est clair qu’il ne s’agit pas d’un homme amoureux mais bel et bien d’un détraqué. Il surveille constamment Lolita, ses fréquentations, refuse qu’elle s’approche d’autres hommes, la menace de l’envoyer en pensionnat si elle va voir la police et il finit même par monnayer leurs rapports sexuels contre de l’argent de poche.

Ultime argument des détracteurs de Lolita toutefois : c’est elle qui séduit Humbert et initie leur première relation sexuelle. En effet, elle n’est pas vierge lorsqu’elle couche pour la première fois avec Humbert, elle lui confie avoir déjà essayé avec des filles et des garçons de son âge pour « voir ce que ça fait ». C’est à mes yeux encore plus condamnable de la part de Humbert de profiter d’elle, car là où elle voit en la sexualité une sorte de jeu et un terrain d’expérimentation entre ses pairs, Humbert a pleinement conscience de ce qu’il fait et la dupe pour assouvir sur elle ses fantasmes. Il affirme même que Lolita ne prend jamais de plaisir lors de leurs rapports. L’auteur nous donne donc suffisamment de pistes pour comprendre qu’Humbert entretient une relation malsaine avec Lolita.

Vient alors la seconde question. Pourquoi avoir écrit ce livre et faut-il le lire ?

Je pourrais présenter un argument simple : on écrit bien des romans qui plongent dans la psyché de tueurs et de violeurs en série et cela n’a jamais dérangé personne. Je dirais même avec pragmatisme que Nabokov a écrit une histoire sordide pour le plaisir d’écrire une histoire sordide, et ce ne serait pas le premier. Mais c’est un peu simpliste de dire cela et ce n’est pas vraiment ce sur quoi je voudrais me concentrer. Le livre est intéressant car il montre justement très bien comment les pédophiles se trahissent. Humbert tente de nous faire croire que c’est la recherche d’un esthétisme, d’un idéal, d’une beauté éphémère qui motive ses actions. Mais entre les lignes, nous comprenons réellement ce qu’il cherche chez Lolita et les autres nymphettes : des enfants trop influençables pour dire non et pour se rebeller, avec une sexualité suffisamment développée pour pouvoir mimer un semblant de consentement mais trop peu explorée pour empêcher Humbert de mener la danse.

Dès lors, après lecture de ce roman, je ne peux qu’une chose à toutes les Lolitas du monde, à toutes les nymphettes en jupes plissées et socquettes retroussées : méfiez-vous de ces hommes qui prétendent ne vouloir que votre bien, qui vous font croire que votre charme si spécial a fait chavirer leur cœur d’adulte. Ils ne feront que détruire votre vie, comme Humbert a détruit celle de Lolita, tombée dans les griffes de sa perversion.

Anaïs

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