Charlotte retrace la vie mouvementée de Charlotte Salomon, une artiste peintre juive décédée à l’âge de 26 ans, alors enceinte, à Auschwitz. Pleine de talents, elle entre aux Beaux-Arts de Berlin avant d’être exclue de toutes les sphères de la société allemande. Elle entreprend alors un exil en France, où elle compose une œuvre picturale autobiographique retraçant sa vie, ses passions, ses peurs, ses craintes… Cette œuvre est également celle de l’auteur, David Foenkinos, qui part à la recherche de Charlotte Salomon pour mieux comprendre son œuvre.
Alors que je pensais lire un témoignage historique de plus sur la deuxième guerre mondiale, je me suis aperçu peu à peu que le livre était bien plus profond que cela. Il y a l’histoire, certes, qui ne peut laisser indifférent dans la mesure où elle est tirée de faits réels, mais il y a surtout la relation entre l’auteur et l’histoire. David Foenkinos est fasciné par la vie de cette jeune fille et nous fait partager ce sentiment à travers son œuvre :
« Et puis, j’ai découvert l’œuvre de Charlotte Par le plus grand des hasards […]
Une amie m’a dit : tu devrais aller voir l’exposition […]
Elle m’a guidé vers la salle
Et ce fut immédiat…
Tout était là :
Dans un éclat de couleurs vives »
Foenkinos a toujours été attiré par l’Allemagne, Schubert, Bach et la peinture. En effet, il apprécie particulièrement Berlin « Tout ce que j’aimais […] Warburg et la peinture. Les écrivains allemands. La musique et la fantaisie ». Au cours de sa recherche pour trouver Charlotte, l’auteur est allé dans le Sud de la France, à Villefrande-sur-mer, lieu où Charlotte s’est installée au moment de son exil. Alors qu’il ouvrait le portail de l’ancien lieu où a vécu Charlotte, une vieille femme apparait et lui dit « Partez, partez, où j’appelle le gardien ! » Mais cela fut loin de le décourager.
Outre la fascination qui se dégage de cette histoire, j’ai été surpris par la forme du livre. Elle est simple, très simple. Foenkinos ne voulait pas tomber dans le piège de la biographie classique ; alors son livre, il l’a voulu vivant, comme un poème, n’écrivant pas plus de soixante-treize signes par ligne. Il fallait que cela soit simple, comme Charlotte. Foenkinos déclare que ce livre devrait être « sans pathos, pour trouver le ton juste et que le récit était tellement tragique qu’il fallait lui donner une respiration au texte et au lecteur ». Ainsi, nous accompagnons l’auteur à travers sa quête. Une quête qui nous renvoie à des moments de vie, simples mais aussi terribles car le roman est rempli de témoignages historiques avec des scènes marquantes. On nous rappelle à cet égard la « Nuit de Cristal », à l’issue de laquelle « les cadavres s’entassent comme des déchets et des milliers d’hommes sont internés dans des camps ». La cruauté va atteindre son paroxysme avec l’arrivée d’Aloïs Brunner, l’un des pires responsables SS :
« Sa biographie donne la nausée C’est un petit brun aux cheveux crépus,
Extrêmement chétif, son corps paraît tordu […]
Son malaise de ne pas correspondre au type
Aryen renforce sa haine […]
Il lui arrive de se lever en pleine nuit
Pour aller pisser sur un juif »
Charlotte finit par être déportée. En premier lieu au camp de Gurs avec son grand-père avant d’être transférée à Auschwitz, où elle décède à l’âge de 26 ans.
En dehors du témoignage historique, un autre élément m’a plu. Le livre est rempli de références culturelles. Le mythe d’Orphée se traduit par le fait que se retourner peut signifier perdre ceux qu’on aime. C’est pour cela que, lorsque le père de Charlotte est arrêté : « Il quitte l’appartement sans se retourner ». Foenkinos fait également référence au Procès de Kafka lorsqu’il est dit que « le héros » Joseph K., est arrêté sans raison. Kafka, écrivain de langue allemande et de religion juive décrit une société impersonnelle qui a de plus en plus de prise sur l’individu. Le père de Charlotte ne comprend pas en effet les raisons de son arrestation. Charlotte « dévore » Goethe, Hesse, Remarque, Nietzsche, Döblin. Remarque s’est fait connaître pour avoir écrit A l’Ouest, rien de nouveau, roman sur la première guerre mondiale, et Döblin, médecin et écrivain allemand, issu d’une famille juive, participe, lui aussi, aux progrès de son époque. De plus, un parallèle peut être fait avec « le Journal » d’Anne Franck même si les écrits de l’une étaient ceux d’une adolescente alors que Charlotte est une jeune femme de 23 ans qui, pour survivre à l’horreur, nous a laissé le témoignage d’une artiste confirmée.
Ce livre est enfin un voyage à travers la culture. En 1993, au centre Pompidou, il y a eu une exposition de deux cents gouaches de Charlotte Salomon et à la suite de cela, un documentaire lui a été consacré.
Gauthier P.