La Guerre et la Paix – Léon Tolstoï

If I were a book, I think I’d be La Guerre et la Paix. Wow, désolée les fans de Queen B, on va parler de Tolstoï.

J’avais 7 ou 8 ans quand j’ai découvert Tolstoï, on m’avait balancé le pavé de 1000 pages à la figure et je me suis écrié « ô diantre, que c’est chouette ». Non, mon histoire d’amour avec Tolstoï commence de façon plus anecdotique, mais pleine d’une tendre affection d’enfance.

A sept ou huit ans donc, je me suis faufilé un soir dans le salon, et il y avait quelque chose de fascinant à la télé sur France 2 : en fait, c’était de belles robes. J’étais censée rester seulement 5 minutes et aller me coucher, mais je suis restée jusqu’à la fin comme une fripouille.

Quatre épisodes, quatre semaines d’un petit secret gardé par mes parents contre mes frère et sœurs : ma découverte de La Guerre et la Paix au travers de l’adaptation cinématographique qui en a été faite en 2007. Oui, je sais, ce n’est pas la version avec Audrey Hepburn (1956) ni même celle avec Lily James (2016), mais c’est une très belle production européenne, avec un casting regroupant des acteurs français, allemands, italiens, russes… Un casting à l’image des campagnes napoléoniennes, et je suis devenue fan de Napoléon. Cette courte série m’est resté en mémoire. Mais il m’a fallu attendre l’été dernier pour lire le livre ; je voulais lire les 1000 pages d’un coup, et l’été après la prépa et les concours a été le bon créneau.

Plantons le décor de La Guerre et la Paix à gros traits (parce que c’est une fresque plus compliquée que Zola quand même) : de 1805 à 1820, quelques familles de la noblesse moscovite évoluent dans un contexte instable lié aux conflits franco-russes sur lesquels Tolstoï se concentre. L’armée est la voie royale pour tirer son épingle du jeu lorsqu’on n’est pas un riche héritier. Trois personnages centraux animent la trame, sans qu’aucun ne soit le personnage principal : certains voient en Pierre Bézoukhov le personnage principal, parce que le récit se déploie au travers de la recherche tourmentée de ses aspirations. Ce riche héritier, ours mal léché et grand intellectuel renfermé, se sent mal à l’aise en société, fait les mauvais choix et se fait rouler parce qu’il a un cœur en or. Il est dans le trio des (plus qu’) amis avec Natacha Rostov, jeune femme espiègle et romantique mais héritière sans le sou, et le prince André Bolkonsky, héros de guerre ambitieux et trop rationnel, jamais satisfait et très pessimiste. En deux phrases, bien trop schématiques pour révéler toute la subtilité de La Guerre et la Paix : Natacha et André s’aiment et se fiancent, mais alors qu’André est sur le front, Natacha se lasse et se laisse séduire par un ennemi d’André, ce dernier est mortellement blessé à Borodino et pardonne à Natacha sur son lit de mort (et là, on pleure). Pierre, le grand ami d’André et de Natacha, qu’il aime depuis toujours sans le savoir – le bougre s’est marié à une chipie en plus (la sœur de l’ennemi d’André) – aide Natacha à remonter la pente, et ils finissent par se marier. 

Un livre à l’eau de rose ? Non, pas du tout : ce livre est bien trop riche pour que je sache comment en parler. Bien sûr, il y a la double approche du thème de la guerre et de la paix. Sur le plan politique, d’abord, puisque les phases de prospérité et de conflits se succèdent, avec la campagne et la retraite de Moscou à son paroxysme. Et guerre et paix dans les cœurs : les personnages sont tiraillés entre leurs aspirations et ce qu’ils sont vraiment : Natacha qui rêve d’un amour pur mais se fait rattraper par les tentations humaines ; Pierre qui veut être l’intellectuel philanthrope dans un monde d’égoïstes pervertis et qui derrière sa grande honnêteté se fait arnaquer de tous côtés ; et André, qui s’impose des règles de vie trop rationnelles et se repent seulement à la fin pour aspirer à des réalités davantage métaphysiques.

Bataille de la Moskowa, Louis-François Lejeune, 1822

Avec le prince André, j’ai eu mon « c’est ça, c’est exactement ça ! » dont parle Barthes dans Le Plaisir du texte. J’ai mis au jour une connivence caractérielle, un alter ego avec le prince André (rien que ça, oui !) : juste devant moi, un être plein de contradictions, qui souhaite raisonner de façon très factuelle et rationnelle pour se faire une place dans ce monde, alors qu’à l’intérieur ce n’est qu’une boule de sensibilité qui lutte contre le monde. Derrière cette coquille froide, c’est un homme qui a de belles aspirations, un esthète de la métaphysique, qui aspire à la vraie pureté des sentiments. C’est cette contradiction intérieure qui me plait beaucoup chez le Prince André : ni l’aspect rationnel ni son côté sentimental n’est le bon, ils sont juste les deux faces d’une même réalité de ce que nous sommes face au monde. Une frustration seulement à la fin : que Pierre et Natacha se marient, et en même temps, la boucle est bouclée ; la période de guerre dans les cœurs passionnés d’André et de Natacha est finie et l’amour sage et intellectuel de Pierre et Natacha permet un retour à la paix.

La Guerre et la Paix, 2007

Le livre, publié sous forme de feuilletons de 1865 à 1869, est donc une fresque d’une grande complexité et en même temps d’une grande exhaustivité sur l’univers de la noblesse russe menacée par Napoléon. On navigue de scènes de guerres (qui ne tombent dans les longueurs que dans la troisième partie où Tolstoï s’est fait un peu trop plaisir sur les analyses des batailles) en scènes de cœur. Les récits macro-politiques et interpersonnels se reflètent et se répondent de façon admirable. La complexité de la vie sociale et celle de la psychologie humaine s’imbriquent dans une observation féconde de la violence de l’histoire et de la vie humaine ; Tolstoï (1828-1910) a grandi auprès d’une génération traumatisée par la campagne napoléonienne, qui garde une grande rancune et en même temps une admiration de l’homme de conquête.

La série de 2007 rend bien hommage au texte, hormis quelques inversions pour raccourcir l’intrigue, mais les caractères des personnages sont globalement très bien brossés et d’une complexité si juste, surtout le prince André (en toute objectivité bien sûr, il n’y a aucune obsession). Bref, cette adaptation à la télé a fait de moi une fan de Napoléon, qui s’est un peu calmé mais admire toujours ses grandes réalisations institutionnelles. Et maintenant, le livre m’a fait goûter la complexité de la psychologie humaine dans laquelle nous baignons tous – enfin j’espère ne pas être la seule coincée au détour d’une page de roman.

Affaire à suivre, Anna Karénine, here I come.

Juliette Tolstoï

 

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