« La femme est capable de tous les exercices de l’homme sauf de faire pipi debout contre un mur. » Sidonie-Gabrielle Colette
À l’occasion de la Women’s Week, je tenais à vous parler d’un écrivain dont le parcours m’a plus inspirée que l’œuvre. Il serait fâcheux que de réduire Colette à ses seuls ouvrages sans même parcourir les épreuves qui ont tant nourri et inspiré ses écrits. Ma découverte de cette auteure ne fut pas à travers un livre mais un film, honte à moi qui en tant que Libr’Air se doit d’être plus femme de lettres que cinéphile. Mais vous pardonnerez, je l’espère, cet égarement qui me pousse aujourd’hui à mettre en lumière une des plus grandes écrivaines françaises.
Colette, née Sidonie-Gabrielle Colette, est une femme de lettres française, qui s’est également essayé aux planches de la scène et au journalisme. Elle est connue aussi bien en France qu’à l’étranger. Son talent a été reconnu de multiples façons que ce soit lors de sa nomination pour le prix Nobel de littérature en 1948, lors de son élection en tant que membre de l’académie Goncourt puis en tant que présidente (respectivement en 1945 puis entre 1949 et 1954) ou lors des funérailles nationales qu’elle a reçues.
Le parcours du héros…ou de Colette
L’œuvre de Colette prend forme sous l’égide d’un homme (encore eux) lorsqu’elle se marie avec un romancier du petit nom de Willy (sobriquet plus pratique à retenir que Henri Gauthier-Villars) et commence à travailler pour lui en tant que « nègre littéraire », pratique auquel cet écrivain en panne d’inspiration avait recours pour nombre de ses œuvres. Tout l’édifice littéraire bâti par Colette repose sur ce mal du pays qui la conduisit à coucher ses tendres souvenirs sur le papier suite aux conseils de son époux. La romance de ces deux amoureux des lettres se gâte lorsque Willy, en parfait génie de la mercatique, exploite jusqu’au dernier filon toute la richesse de la série des Claudine et finit par en vendre les droits d’auteur sans l’accord de Colette. Dépossédée de son usufruit et en quête d’indépendance face à ce personnage qu’elle décrit comme un « tout allumé de vice paternel », un « amateur de femmes, d’alcools étrangers (sic) et de jeux de mots, sensible dénué de scrupules » dans les Claudine, Colette décide de le quitter.
Femme trompée, écrivaine exploitée, bourguignonne bien sage devenue parisienne émancipée, elle fait ses débuts au music-hall et expose ses amours saphiques sans vergogne, entamant une relation avec Missy, Marquise de Belbeuf. Elle s’essaye ensuite au journalisme et elle réussit brillamment en publiant plus de 1260 articles. Elle y rencontre alors son second mari, le journaliste Henry de Jouvenel, qu’elle finit par épouser. Comble de malchance, il a aussi la mauvaise habitude de la délaisser pour des conquêtes féminines plus jeunes. Elle se tourne alors vers le jeune fils de ce dernier ; telle une Phèdre moderne, non avec Hippolyte mais avec ce jeune beau-fils de 16 ans. Cette expérience enrichira ses écrits sur les relations entre femmes mûres et jeunes jouvenceaux la conduisant à écrire un de ses plus grands chefs d’œuvre, Chéri.
Elle se marie une dernière fois et termine le dernier stade de son évolution : de campagnarde perdue en ville, elle finit en citadine exilée en province, entourée de nature et d’animaux.
Sidonie aux mille et un visages
Maintenant que je vous ai bien résumé sa fiche Wikipédia et que vous avez perçu toute l’étendue de son caractère, passons aux choses sérieuses : ce qui fait d’elle ce personnage haut en couleur si inspirant.
Quand j’entends parler de Colette, je ne peux m’empêcher de penser à la chanson « Résiste » de France Gall (ou Feeling Good de Nina Simone si vous êtes plus soul et jazz) car Colette se démarque par sa liberté tant sexuelle que spirituelle. Incarnation d’une success story des années 40, Colette fait peu d’études mais démontre une maîtrise évidente, à travers ses écrits, de la langue française. Colette est avant tout chose une auteure du sensible, plus que du monde intellectuel : elle suspend son jugement sur ce qu’elle perçoit pour mieux voir ce qui l’entoure et le décrire. Dans ses œuvres, elle ramène à la matière ce qui n’est pas matière (une nuit qui se solidifie, des odeurs qui prennent corps) et joue sur la substance quasi picturale de ses perceptions pour en nourrir ses œuvres alors même qu’elle ne possède une quelconque connaissance des mouvements artistiques. Elle peint avec ses mots aussi bien que l’ont fait André Derain (fauvisme) ou Claude Monet (impressionnisme) avec leurs pinceaux.
Écouter cet accent rocailleux de son terroir d’origine rouler les mots avec une telle sensualité donne toute sa saveur à son jeu de langage. Blessée par les hommes, Colette se retrouve dans l’écrit et donne voix à la « chair du monde » en employant de nombreuses métaphores où nature et corps ne font qu’un. Pour vous donner un petit amuse-bouche, dans Sido, on trouve : « Elle lui donna une rose cuisse-de-nymphe-émue qu’il accepta avec emportement, qu’il porta à sa bouche et suça, puis il pétrit la fleur dans ses puissantes petites mains, lui arracha des pétales, rebordés et sanguins à l’image de ses propres lèvres… » Ce n’est pas le papillon qui rêve qu’il est un homme mais le bébé qui se fait rose. Elle infuse le soi dans le naturel et ôte au personnage son moi pour lui faire atteindre une sensorialité absolue à la fois corporelle et naturelle, car ce corps s’oublie vite face à la nature. Forme de retour aux premiers romantiques du genre comme Chateaubriand et avec touche toute hédoniste, elle accueille le plaisir sans limite autant dans ses œuvres que dans sa vie tout en l’associant perpétuellement à un retour à la nature, fabuleux recours pour fuir le convenu et le superficielle de la ville. Colette réussit l’incroyable tour de magie de traduire par sa seule plume toute la profondeur de la sensualité et de la jouissance féminine, en lui donnant les traits d’une jeune fille en pleine découverte de sa sexualité dans sa série les Claudine, en l’associant au monde naturel, notamment dans les Vrilles de la vigne.
Mais cette révération à la jouissance lui permet de s’opposer à cette sexualité un brin féodale de l’époque et d’affirmer le droit et la capacité des femmes au bonheur féminin. Elle se décrit comme une « hermaphrodite mentale » et, meurtrie par les infidélités de son mari, elle retrouve une tendresse et un certain triomphe auprès des maîtresses de ledit mari adultère (tel est pris qui croyait prendre, cher Willy). Écrivain de la jouissance, un brin dionysiaque mais tout autant apollinienne, elle connaît la chair féminine comme masculine tout en sachant y prendre du recul. En cela, elle n’est qu’être mortel sur le fil du rasoir entre tentation et retenu. Mais son œuvre retranscrit toute l’opposition qui animait Colette ; entre libertinage de la citadine et amour bucolique de la campagnarde. Ce qui fait d’elle une auteure féministe révèle aussi de ce qu’elle n’écrit pas car un sujet restera toujours dans l’ombre de ses ouvrages : la mère. Elle ne se revendique pas comme une mère et ne donne même de place à ce rôle de la femme. En tant qu’auteure du XXème, je trouve cela d’autant plus novateur : elle ne dénonce pas cette association obsolète de la femme à son rôle de mère, ni ne l’exergue, elle l’oublie tout simplement, preuve ultime de sa liberté sans limite et de son affranchissement des codes sociaux de l’époque.
Néanmoins, si Colette a démocratisé la jouissance et écrit sur l’impudeur des femmes libres en véritable pionnière du plaisir au féminin, elle n’était pas pour autant féministe. Toutes ses épreuves, tous ses coups reçus ont donné du caractère au personnage, une force de s’affirmer dans toute sa singularité. Colette se dresse la tête haute face à ses amours infidèles et ses détracteurs réactionnaires et dépasse les écueils à sa manière, notamment lorsqu’elle dit : « l’amour, l’affaire la plus banale de l’existence » ou « la mort est une banale défaite ». Cette liberté singulière chez Colette l’empêche de rejoindre la communauté militante de l’époque alors même que son parcours de femme libre et insoumise, notamment aux codes sociaux de l’époque, la reproche de lesdites militantes. Elle redéfinit les mœurs bourgeoises autant dans ses écrits que son mode de vie, s’adonne au nomadisme tant géographique que spirituelle et se voyage à travers Balzac ou Proust mais tout cela, elle le fait seule. Colette est tout en paradoxe, en facettes opposées et sa personnalité se teinte d’un clair-obscur fascinant qui nous pousse à redéfinir notre conception parfois (trop) binaire du monde qui nous entoure.
Audrey Liaboeuf