Chroniques adolescentes

Laura Pettex

Clara 
Clara, allongée sur le dos, contemplait le plafond de sa chambre. Songeuse, elle repensait à la discussion matinale qu’elle venait d’avoir avec son père. « Pense-t-il réellement que ses paroles m’aident ? » se demanda-t-elle. 
En effet, la conversation avait majoritairement gravité autour d’un point : ses choix d’avenir. C’est un sujet qui revenait régulièrement et causait souvent des désaccords entre le père et la fille. 

« Veut-il seulement que je sois heureuse ? Ou attend-il que je réalise des choses qu’il n’a pas pu accomplir lui-même ? ». Cette question, ce n’était pas la première fois qu’elle se la posait. Mais malgré de nombreuses réflexions à ce propos, elle n’avait toujours pas de réponse. 

La mâchoire serrée, elle repensa aux dernières paroles échangées. 
« Si tu poursuis dans cette voix, tu n’auras pas d’avenir » lui avait asséné son père. « Tu as tellement de potentiel, il serait dommage de le gâcher ». 

Le potentiel. Ce fichu potentiel qui l’empêchait d’aspirer à des études simples, qui lui plaisaient, « parce qu’il serait si dommage de le gâcher ». Mais qui avait décidé ça ? Qui avait décidé qu’avoir des facilités devait forcément conduire à une brillante carrière, qui ferait suite à de longues et pénibles études ? 

Son père avait sa propre idée de la réussite. Il ne concevait pas que sa fille, qui présentait de bonnes dispositions pour un métier de prestige tel qu’avocat ou médecin, se contente d’un métier plus modeste. Il ne comprenait pas qu’elle était animée par ses propres envies, avait ses propres aspirations, qui ne correspondaient pas forcément aux siennes. 

Toute son enfance, Clara s’est heurtée au regard désapprobateur d’une des personnes les plus chères à son cœur. Depuis très jeune, elle a dû se battre pour faire respecter ses choix, ce qui a occasionné de nombreuses disputes. 

Et aujourd’hui encore, elle a dû se justifier, argumenter, simplement parce qu’encore une fois, elle a décidé de créer et suivre ses propres projets d’avenir et non réaliser ceux d’un tiers. Bien que sûre de ses choix, elle redoutait toujours de décevoir son père ou ses proches. L’une de ses pires angoisses était de lire de la peine ou de la déception dans les yeux de ceux qu’elle aimait. Elle était parfois tentée de baisser les bras, découragée par le manque de soutien et les paroles désobligeantes de son père. Mais il ne lui fallait en général pas longtemps pour se remémorer ses motivations, et si elle devait continuer à se battre pour ses convictions elle le ferait. 

Epuisée à l’évocation de ce combat permanent, Clara lâcha un bâillement et s’apprêtai à sombrer dans le sommeil lorsque son alarme sonna. 

Elle se leva, prit son sac de cours et ouvrit la porte de sa chambre. Poussant un soupir, elle plaqua un sourire sur son visage, descendit les escaliers et sortit de la maison. La journée pouvait commencer. 

Romain

Romain se contemplait dans la glace. Il sortait de la douche et ne portait qu’une serviette de bain autour de la taille. Faisant jouer ses muscles sous la lumière matinale, il constatait avec satisfaction le résultat de ses efforts. 

Depuis qu’il s’était inscrit à la salle, il sentait bien que le regard de ses pairs avait changé. Plus jeune, il avait connu des épisodes de boulimie. Suite au décès de sa mère quand il était âgé de seulement 12 ans, il avait trouvé refuge dans la nourriture, mangeant tout ce qui passait à sa portée. 

Son père, très occupé par son travail, n’a jamais remarqué à quel point l’évènement funèbre avait impacté la vie du garçon. Sa sœur, âgée de 2 ans de moins que lui, n’avait pu que lui apporter un faible soutien car elle aussi avait un deuil à faire. 
Pendant plusieurs années, Romain avait donc tenté de dissimuler sa peine derrière des montagnes de sucreries et produits industriels. Mais à l’aube de la terminale, et appuyé par l’aide d’un psychologue, il avait décidé de stopper cet engrenage malsain. 

Il avait donc trouvé une nouvelle échappatoire : le sport. Il s’était inscrit à la salle, et s’était plongé à corps perdu dans ce monde de poids et haltères. D’un naturel peu sociable, être dans un environnement où tous partagent la même passion lui avait permis de s’ouvrir. 

Il avait évolué physiquement et mentalement, et lui qui n’avait jamais réellement eu d’amis avait soudain accédé à un monde de possibilités. Il avait intégré un groupe d’amis hétéroclite, ce qui lui convenait bien car il avait de nombreux centres d’intérêt. 
Mais parfois, le souvenir de son enfance tourmentée resurgissait. Au souvenir de ces douloureuses années, une ombre passa sur son visage. Certes, il avait maintenant la vie dont tout ado pourrait rêver. Mais à quel prix ? Combien d’heures avait-il passé à suer à la salle, combien de fois avait-il dû se battre contre ses pulsions boulimiques, combien de fois avait-il pleuré de rage, la tête enfouie dans son oreiller ? 

Il se souvenait de phrases assassines de camarades du collège, qui se faisaient un malin plaisir à lui faire remarquer son embonpoint, sans se soucier des causes de ce dernier. Il se rappelait le regard méprisant des garçons lorsqu’il allait leur demander s’il pouvait jouer avec eux, le regard dégoûté des filles quand il tentait de leur parler, combattant sa timidité. Il revoyait clairement cette fois où, s’armant de courage, il avait tenté d’avouer ses sentiments à Marie. Bien sûr, elle l’avait repoussé, comme tout le monde. Elle s’était même moquée, en déclarant que de toute façon « qui voudrait d’un gros tas comme toi ? ». 

Aujourd’hui, lorsqu’il croisait Marie dans les couloirs, elle lui souriait et faisait l’air de rien. Mais ce n’était pas rien, ces phrases avaient marqué Romain au fer rouge. Ce sont ces mêmes phrases qui l’avaient poussé à se dépasser lors des dernières répétitions à la salle, et l’avaient soutenu dans les jours où il perdait toute motivation. 

Même si aujourd’hui ils étaient loin derrière lui, Romain se rappellerait toujours le sentiment de rejet, le goût amer des insultes et des moqueries. 

Mais l’heure n’était pas aux lamentations. Enfilant des habits, il termina de se préparer. Fermant les yeux quelques instants, il plaqua un sourire sur son visage et ouvrit la porte d’entrée. La journée pouvait commencer. 

Sofiane Sofiane, le regard dans le vide, remuait distraitement sa cuillère dans le bol de céréales posé devant lui. 

Il avait très mal dormi, réveillé au milieu de la nuit par les cris émanant de la chambre voisine. Tout d’abord confus, il avait rapidement compris grâce aux éclats de voix qu’il avait perçu que ses parents se disputaient encore. Ces derniers temps les conflits s’étaient multipliées, au point où les tensions affectaient même les relations entre Sofiane et ses parents. 

Ce dernier n’en pouvait plus des cris, et de l’impact que les disputes avaient sur sa petite sœur, âgée de seulement 6 ans. Cette dernière était trop jeune pour comprendre exactement ce qu’il se passait mais les visages tendus et fatigués de son père et sa mère suffisaient à lui faire comprendre que quelque chose n’allait pas. 
A chaque repas, les deux enfants avaient droit à une nouvelle scène, le moindre prétexte était bon pour balancer une remarque désobligeante ou hausser le ton. Du haut de ses 17 ans et demi, Sofiane avait décidé de se placer en médiateur, tentant de protéger au mieux sa petite sœur. Seulement, lui aussi commençait à être fatigué de cette situation. 

La nuit dernière, entre deux remarques assassines, il avait cru comprendre le mot « divorce », et cela lui faisait peur. « D’un autre côté, est-ce une si mauvaise idée ? » se demanda-t-il. Après tout, si ses parents ne s’entendaient plus, peut être valait-il mieux qu’ils se séparent plutôt qu’ils ne poursuivent d’infliger ce spectacle déchirant aux enfants… 

Mais comment se résoudre à cela ? Comment tirer un trait sur cet équilibre, sur cette structure dans laquelle il avait pu se développer ? Il se sentait incapable de faire un choix entre ses deux parents, ne souhaitait pas devoir renoncer à vivre avec l’un d’eux et plus encore, il ne voulait pas que sa sœur ait à subir cette situation. 

Son amie Clara était déjà passée par là quelques années plus tôt et même si elle s’en était plutôt bien remise, Sofiane avait bien vu qu’elle en avait souffert. Il n’y avait rien de pire pour lui que de savoir que les deux personnes qui l’avaient vu grandir ne s’aimaient plus. 

Sofiane serra le poing. Il se sentait si impuissant ! Si seulement il connaissait un moyen d’aider ses parents, de rétablir l’équilibre qui avait régné jusqu’alors, et sauver sa famille du déchirement ! Mais au fond de lui, il savait bien que c’était peine perdue et qu’il ne pouvait rien faire face à cette situation, dont il n’était que spectateur. 

Ruminant ces sombres pensées, il termina son petit déjeuner et alla se préparer pour l’école. Quelques minutes plus tard, il saisit son sac à dos, claqua la porte de la maison et se dirigea vers le lycée. 

Quelques mètres avant d’atteindre l’établissement il s’arrêta, souffla un coup et plaqua un sourire sur son visage, abandonnant ses problèmes pour quelques heures. La journée pouvait commencer. 

Safia 
Safia ouvrit péniblement les yeux. Son réveil ne cessait de sonner, elle ne se rappelait même plus combien de fois elle avait reporté l’alarme. Dans un éclat de conscience, elle se redressa dans son lit et écarquilla les yeux en voyant l’heure sur le cadran. 

Déjà bien en retard, elle sauta dans la douche sans se poser de questions. Savourant ces quelques instants de répit avant le rush de la journée, elle prit une décision.

Aujourd’hui, elle irait parler à Antoine. Antoine c’était son meilleur ami et Safia avait commencé à développer des sentiments pour lui il y a plusieurs mois déjà, seulement elle n’avait jamais eu le courage de les lui avouer. 

« Pourquoi ce serait toujours aux hommes de faire le premier pas ? » songea-t-elle. Du haut de ses 17 ans, elle n’avait pas froid aux yeux. Elle ne voyait donc pas le problème à oser assumer ses sentiments, quitte à mettre sa fierté de côté ou risquer le rejet. Car après tout, qui ne tente rien n’a rien n’est-ce pas ? Cependant, c’était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Elle le voyait au quotidien, combien de ses amies avaient déjà apprécié quelqu’un sans oser lui dire ? Mais elle était déterminée à parler à Antoine et malgré une légère appréhension, elle le ferait. 

Dotée d’un fort caractère et de solides convictions, Safia avait décidé de faire preuve de courage. Fille cadette d’une famille de cinq, elle avait bénéficié des conseils avisés et du soutien de ses deux grandes. Cet accompagnement avait eu pour effet de lui donner suffisamment confiance en elle pour oser. 

Un jour, une de ses sœurs lui avait dit que « le pouvoir de l’esprit est plus puissant qu’il n’y parait. Il suffit de se persuader que la situation va s’améliorer pour qu’elle le fasse, car nous agissons en fonction de notre état d’esprit. Et si tu veux tenter quelque chose fais-le, cela t’épargnera des regrets et si ça ne fonctionne pas tu auras malgré tout gagné une leçon ». 

Safia avait tenté plusieurs fois de transmettre cet état d’esprit à ses amis. Mais certains d’entre eux n’avait pas semblé réceptifs, la crainte du rejet ou de paraitre déplacé étant plus forte. Pourtant, ceux qui avaient tenté leur chance suite à ce changement de position en étaient ressortis grandis, ayant osé se mettre dans des situations parfois inconfortables mais quasiment toujours fructueuses. 

La jeune fille en était là dans ses pensées lorsqu’elle se rappela une scène qui l’avait marquée. Lors d’une soirée entre amies, l’une d’elles lui avait confié avoir une attirance pour un garçon de leur classe. Safia lui avait conseillé de tenter une approche, arguant que la pire chose qui pouvait arriver était une réponse négative de l’intéressé. Mais son amie lui avait répondu qu’elle n’oserait jamais faire le premier pas, car elle avait peur de ce qu’en penseraient leurs camarades et des potentielles moqueries qu’un rejet provoquerait. Ainsi, la situation avait stagné, le garçon sortait maintenant avec une autre fille du lycée et son amie regrettait amèrement de ne pas avoir tenté sa chance. C’est pour éviter ce regret qu’elle irait parler à Antoine, quitte à ce que ses sentiments ne soient pas partagés. 

Safia revint brusquement à la réalité et réalisa que sa douche avait pris beaucoup plus de temps que prévu. Sautant dans ses habits, elle attrapa son sac au vol et couru en direction de l’arrêt de bus. Avant de monter dans ce dernier elle soupira et, chassant d’un revers de la main toutes les pensées qui l’envahissaient, elle plaqua à son tour un sourire sur son visage. En descendant du bus, elle retrouva ses amis devant la grille du lycée. 

Ensemble, Clara, Romain, Sofiane et Safia entrèrent dans l’établissement, leur sourire masquant leurs préoccupations. 

Finalement, ne portons-nous pas tous un masque au quotidien, cachant nos pensées, nos angoisses, nos problèmes ? Il est généralement attendu que nous allions bien quoiqu’il arrive (comme en témoigne le fameux « ça va ? » auquel la réponse couramment attendue est « oui et toi ? »). Tous les jours, quels que soient notre âge, notre sexe, notre situation, nous devons faire bonne figure et porter ce sourire, ce masque de bonheur apparent. 

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