07/06/20.. – se dévoiler

Candice Didion

Le matin. Réveil. Regarder les murs et le plafond. J’aime cet appartement, c’est une bulle de confort que j’ai construite, ou plutôt aménagée de mes mains, je m’y sens bien. Et pourtant à chaque réveil je ne peux m’empêcher de maudire l’apparition de ses murs, ils me remettent les pieds dans une réalité dont parfois j’aimerais m’échapper. La nuit, les rêves, à quelques rares exceptions près, ne peuvent pas être maitrisés, contrôlés, quand dans la réalité de l’éveil, tout est toujours sous contrôle, ou c’est au moins ce que l’on prétend. J’ai du temps ce matin, une fois n’est pas coutume, mais au lieu d’en profiter pour faire une des nombreuses choses de ma « to-do liste », je préfère me tourner et me retourner dans mon lit à profiter des derniers moments avant de sortir et affronter ce qui m’attends dehors, derrière mes volets encore fermés qui me protègent illusoirement de l’extérieur. Je ne parle pas de ce que j’ai prévu en activité, savoir que je dois aller faire des courses ce soir n’a aucun intérêt, c’est un acte d’une banalité insolente qui ne mérite pas que l’on s’attarde dessus en tant que tel.


Se préparer. Sortir. Prendre le métro. Quand je m’ennuie dans les transports (c’est-à- dire quand mon téléphone n’a plus de batterie), comme ce matin, je n’ai rien d’autre à faire que de regarder devant moi. Et là, mon imagination pas si débordante interprète le moindre signe que je peux distinguer dans l’attitude ou l’habillement des personnes qui m’entourent afin de dresser des conclusions, qui à coups sûrs se révèleront être vraies, si bien que même Sherlock Holmes en serait bluffé. Blague à part, je n’ai aucun moyen de vérifier mes théories. Mais ce petit jeu m’a fait me rendre compte du fait que personne, jamais, et je ne me dissocie pas de ces constatations, n’exprime d’émotion. Autour de moi comme toutes les autres personnes de tous les autres jours sont placides. La dernière fois que j’ai pleuré dans le métro, eh bien ce n’est jamais ! La dernière fois que j’ai ri en écoutant un podcast humoristique dans le métro, jamais aussi ! Même constat pour toutes les activités pendant lesquelles une personne est seule et/ou entourée d’inconnus. Les courses encore une fois, à part les enfants à qui on a refusé d’ouvrir le paquet de gâteaux avant de passer à la caisse, les personnes ne sont ni heureuses, ni tristes, et n’expriment aucune émotion. Et pourtant, je sais que chacune de ses personnes ont connu des joies et des douleurs, statistiquement je pourrais savoir qui dans ce métro a perdu un proche, a subi une agression sexuelle, etc. mais personne ne sait et il est impossible de le savoir. Avec tout ça j’en ai presque oublié de descendre à mon arrêt. 


Arriver. Retrouver mes amis. Sourire. Mes amies et moi on est de ce genre de personne à tout dire à tout le monde. On se retrouve et chacun y va de son histoire, de son anecdote, sans surenchère mais toujours en exagérant ! Je crois que c’est cette transparence totale de nos vies qui nous rend si proches les uns des autres. Impossible de faire ou de dire quelque chose sans que la bande le sache. Quel cliché, je sais, j’ai été bercée aux sitcoms américaines dont les amitiés sont inébranlables. Pourtant je sais que les amitiés se détruisent mais vivre dans cette optique rend la vie bien triste ! Et pourtant, au détour d’une énième histoire, intéressante par ailleurs, je me rends compte qu’une fois encore je ne sais presque rien des personnes avec qui je partage pourtant autant. Si, je connais leurs histoires les plus marrantes, les folies qu’ils ont pu faire. Je connais leurs bonheurs et malheurs présents, leurs bonheurs passés, leurs folies

présentes et passés, mais je ne connais rien de leurs malheurs passés. Comme si le bonheur prenait le pas sur le malheur, si le bonheur était notre épiderme quand notre malheur est notre derme. C’est l’heure de travailler, plus le temps de penser. 
Midi. Pause. Manger. Comme à notre habitude, il nous faut plus de temps pour choisir où on peut/veut aller manger que de s’y rendre et vraiment manger. Habituel encore une fois. Mais c’est l’occasion pour moi de remarquer les affinités qui peuvent se dégager. Chacun va plus dans les détails de son histoire avec telle personne et évite tel sujet avec celle-ci. Eh oui, dans mes amis, certains me connaissent bien mieux que d’autres et inversement. Grand scoop du jour ! Sur ce, bon appétit ! 
Retour. Travail. Je préfèrerais une sieste mais là n’est pas la question. Je ne sais plus quoi ajouter à ce stade. 

Pause. Café. Seule. Qu’est ce que je peux bien renvoyer comme image quand je suis seule ? Evidemment question idiote, je ne pourrais jamais le savoir, la présence d’un miroir ne règlerait pas cette question, je serais celle qui me regarde et mon regard est sûrement l’un des plus exigeants de tous ceux qui peuvent se porter sur moi. Mais ce serait intéressant de savoir, savoir si, au « naturel », je dégage une émotion, et si oui, laquelle, si non pourquoi pas ? Pas le temps pour ces considérations, la journée est presque finie. 

Journée finie. Rentrer. Réfléchir. Ce carnet m’a suivi toute la journée, et pour une fois je l’ai utilisé, un peu trop surement, mais une fois lancée, c’est assez dur de s’arrêter. J’ai passé la journée à réfléchir à l’expression des sentiments. Quelle drôle d’idée. Peut-être pas tant que ça. Je n’ai pas écrit mes sentiments ici, à quoi bon, je les connais. La question qui me taraude est ce qu’on renvoi de nos sentiments. Rien, le meilleur, le pire, qui sait ? Comment savoir si derrière l’anecdote la plus joyeuse ne se cache pas un drame. Quelle personne est la plus vraie, celle qui n’exprime pas physiquement ce qu’elle ressent ou celle qui dit tout ? Est-ce que ne pas parler ou ne pas exprimer c’est vraiment cacher des choses ? Me voilà partie dans des questions de mauvaise philosophie, je vais couper court à ça. J’ai beaucoup pensé aux autres et très peu à moi pendant cette journée. J’ai été habitué à me décrire, pleine d’assurance en commençant par « je suis » et en récitant une liste d’adjectif et d’exemples qui montrent à quel point je me connais et que je suis capable de faire un travail d’introspection pour me définir. Mais je l’ai fait tellement de fois, pour tellement de personnes, dans des situations tellement différentes, qu’il me semble que ce « je suis » n’est valable qu’au moment où je le prononce. Ceci est un fait. Après quant à l’analyse de cela, je ne vais pas m’y risquer de façon certaine mais après y avoir réfléchi pendant une journée je pense pouvoir faire des hypothèses. Je n’ai jamais pleuré dans le métro et personne ne le fait jamais, dit comme ça cela semble négatif mais pourquoi s’affirmer et s’afficher affaiblie dans un environnement hostile et inconnu ? Pourtant, celle que je suis quand je suis dans le métro, c’est bien moi. Quand je suis avec mes amis, je n’ai pas envie de leur dévoiler gratuitement les instants les plus sombres de ma vie, pourquoi risquer ou gâcher des bons moments, pourquoi se dévoiler sans garantie de sécurité ? Et une fois encore 

c’est bien moi qui suis présente avec mes amis. Je pourrais continuer mais mes exemples vont devenir redondants. Depuis que j’écris, j’évite l’adjectif hypocrite : être triste mais ne pas le montrer est hypocrite en soit mais comme tout adjectif, on peut l’utiliser positivement ou péjorativement. Une personne n’est pas une, mais une collection de visages, d’attitudes, de masques, qu’elle utilise à bon escient, comme un code vestimentaire, mais qui lui est propre. J’ai trop réfléchi aujourd’hui et je remettrais sans doute tout en question dès demain matin. L’heure de dormir. 
Dormir. Rêver. Recommencer. 

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