Comment le dire à la nuit – Vincent Tassy

Roman gothique


Bon, alors, cette critique va être longue. Parce que j’ai beau être amatrice de littérature, il n’en reste pas moins qu’écrire est une véritable compétence qui doit être travaillée, et que je n’ai pas le talent de Vincent Tassy pour décrire avec précision et concision les émotions qui m’ont traversées à la lecture de ce livre. Il va donc sans doute me falloir faire pas mal d’aller-retours pour réussir à exprimer les réflexions que m’ont inspirées cette histoire. Je m’en excuse d’avance.

L’Amour, la Poésie.
Alors que j’écris cette critique, une phrase d’un de mes professeurs de Français me revient à l’esprit : “Tout l’enjeu de la littérature, c’est en réalité de comprendre l’amour et comprendre comment l’exprimer”. On peut être d’accord ou pas avec cette affirmation, il n’empêche qu’elle pourrait parfaitement résumer “Comment le dire à la nuit”. Comment dire l’amour ? L’auteur répond : par la poésie. En effet, et ce fut pour moi la première surprise en ouvrant ce livre, “Comment le dire à la nuit” n’est pas vraiment un roman. Enfin, pas seulement. C’est de la poésie. Un lyrisme qui résonne au plus profond de nous et qui nous rend nostalgique de choses que nous n’avons pourtant jamais vécues. Ou peut-être cette écriture fonctionne-t-elle parce que justement, nous connaissons tous ces sentiments-là ? Là aussi réside à mon avis une des grandes forces de cette histoire : ici, on ne nous parle pas seulement de l’amour naissant entre deux amoureux qui doivent traverser des épreuves pour parvenir à un happy end. On parle d’un amour universel. Cela se ressent d’abord par la relation entre Athalie et Adriel, qui n’est pas une relation amoureuse au sens commun du terme, mais qui est basée sur un lien pseudo-filial (qui certes tourne à l’obsession, mais qui n’en demeure pas moins sincère) et ensuite par la multitude des personnages et la diversité des sentiments qui les lient. Ainsi, même si le lyrisme de l’écriture peut parfois paraître trop grandiloquent, ce livre reste une bouffée d’air frais. On dépasse de loin le topos habituel du couple pour se pencher sur ce qu’est l’amour dans son essence même. L’amour, ce peut être simplement ce sentiment qui nous submerge devant la beauté qui nous touche en plein cœur, à l’image d’Adriel parvient à faire chavirer n’importe qui, homme ou femme, par sa beauté, par son existence même. L’amour, ce n’est pas seulement ce besoin de monopoliser l’être aimé comme le vit Athalie, c’est la certitude que l’on ne peut rien connaître de plus beau dans une vie. Voilà pourquoi le lyrisme de l’écriture sert le propos du livre, et pourquoi le propos du livre sert le choix de la poésie. Je pense cependant que ce genre d’écriture peut ne pas plaire à tout le monde. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai parfois trouvé que l’auteur en faisait trop et que l’on versait par moment dans un pathos un peu lourd à digérer, alors même que je suis une grande adepte du lyrisme et du courant romantique à la Goethe et autres auteurs du Sturm und Drang. Ainsi, pour des personnes qui ne supportent absolument pas ce style, le livre risque d’être un calvaire et de produire l’effet inverse qu’il a eu sur moi. Mais pour ces personnes-là, vous devriez peut-être tout de même tenter votre chance. Vous verrez qu’il est difficile de revenir “à la vraie vie” après avoir été ensorcelé par la magie de cette écriture.

Un roman gothique LGBTQ+
Deuxième surprise du roman, on nous présente ici cinq personnages queer : deux hommes homosexuels, une femme trans et deux femmes attirées l’une par l’autre bien que leur sexualité ne soit pas arrêtée définitivement. Ainsi, il se trouve que la majorité des personnages sont en réalité en opposition à la norme des sexualités que l’on retrouve souvent dans les histoires d’amour : soit on a un couple hétérosexue basique, soit un couple gay qui le plus souvent sert à remplir un quota de politiquement correct ou bien à exciter l’adolescente prépubère moyenne en décrivant un amour “interdit” et une relation fantasmée. Ici, on est loin de tout ça. Alors n’ayez crainte : que le livre aborde ce thème-là n’en fait pas un récit purement “SJW-friendly” qui cherche à attirer un public queer en quête de plus de représentativité en littérature et dans les arts de manière générale. Sinon, le livre aurait été marketé en conséquence et la nature des relations entre les personnages de même sexe aurait été clairement spécifiée en quatrième de couverture pour haranguer la cible (du moins, à mon humble avis.) Non, en réalité, si on y réfléchit bien, comment peut-on prétendre écrire sur l’amour de façon universelle sans rendre compte des relations homosexuelles ? Ou bien sur l’amour d’un corps que l’on a décidé de façonner soi-même, selon ce que l’on ressent au plus profond de soi ? Le roman n’est pas là pour nous dire : “Il FaUt aCcePter lEs LGBT pArCe qUe L’hOmophObiE c pA GenTiL”, il nous dit tout simplement que ça existe, que ça a toujours existé, et que c’est aussi de l’amour. Alors oui, bien entendu, ces personnages sont inévitablement définis en partie par leur sexualité, qui guide leurs choix et  leur donne quelque chose d’authentique (surtout dans le cas de Léopold et d’Egdmon, parce que bon, être gay au XIXè siècle, c’était pas facile-facile niveau entourage familial, toussa toussa), mais l’auteur n’en fait pas non plus des caisses. Du moins, je n’ai jamais eu l’impression que l’auteur instrumentalisait ce côté de ses personnages pour servir un autre but que celui de la construction de leur identité et de leurs motivations.

“Un jour, il m’appelle Soo-Yun.
Que s’est-il passé ? Que lui ai-je dit ? Il m’a donné un prénom de fille. Je ne crois pas avoir eu besoin de lui demander. Il l’a fait. Il me dit, Soo-Yun, c’est un prénom de fille. Tu es une fille, n’est-ce pas Soo-Yun ? Je ne pense pas que tu sois un garçon.
Oui, oui, bien sûr que je suis une fille. C’est ce que je lui ai répondu. Est-ce que j’ai pleuré ? Non, je ne crois pas. C’était si évident. Il n’y avait que dans les yeux de Hyun-Su que j’étais une fille -non, personne d’autre n’avait compris, personne ne voulait comprendre-, mais pour moi les yeux des autres n’existaient pas.
À partir de ce jour, je n’ai plus su exister que dans les yeux de Hyun-Su.
Et même quand, bien des années plus tard, Hyun-Su est parti, j’ai continué d’exister à travers son regard de lumière.”

L’art d’écrire un bon roman quand on parle d’amour et en plus de vampires
On arrive ici au point qui m’a poussée à dévoiler un minimum d’informations sur l’histoire dans le conseil de lecture que j’avais rédigé pour la page Facebook. En effet, si comme moi vous êtes un peu allergique au genre young adult ou autres romances fantastiques à l’eau de rose et qu’on vous présente “Comment le dire à la nuit” comme une histoire d’amour avec des vampires, il y a de grandes chances que vous fuyiez très très loin, tant ces deux termes mis ensemble évoquent de vieux relents de Twilight. Et franchement, ça aurait été très dommage de passer à côté de ce roman à cause de nos préjugés sur les thèmes qu’il aborde. En effet, là où Vincent Tassy a renouvelé à mes yeux le genre du roman d’amour (et je dis bien “à mes yeux”, car n’étant pas franchement amatrice du genre vous pourriez bien avoir une autre opinion de ce que l’on peut appeler “renouveler” un genre), il le reproduit également dans le domaine des histoires de vampires. Tout tient dans ce mot : subtilité. On pourrait rattacher cela à la dynamique poétique de livre : ne comptez pas sur l’écrivain pour tout vous dévoiler tout de suite. Ainsi, Athalie n’est pas présentée comme une vampire d’emblée. On nous donne cependant des indications (qui certes, pour le lecteur averti, peuvent sembler évidentes, mais qui restent seulement des indications tout de même).On sait qu’elle s’habille en noir, qu’elle vit dans le même château depuis des siècles et aussi qu’elle avait oublié tout sentiment avant Adriel. La même subtilité opère pour le personnage de Cléopâtre dont on ne devine la véritable nature qu’à la fin du roman. Pour achever de vous convaincre, il faut savoir que le mot vampire doit figurer au maximum trois fois dans l’ensemble des 350 pages du roman.Cette histoire de vampire au style gothique est donc immensément plus proche du Dracula de Stocker que des vampires à paillettes de Twilight.

Pour conclure tout ça, je pense que l’adage “un livre à mettre entre toutes les mains” ne s’applique pas vraiment ici. Mais cela concerne uniquement le style de l’écriture très poétique et lyrique qui pourrait bloquer un certain nombre de lecteurs. Le roman se distingue surtout par la fraîcheur avec laquelle il aborde ce thème universel et intemporel qu’est l’amour. L’histoire et les personnages sont passionnants, le découpage des chapitres selon les différentes époques du récit très efficace et pour les amateurs de lyrisme comme moi, vous trouverez l’écriture tout simplement envoûtante. Bref, ma lecture la plus marquante depuis bien longtemps !

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