Bande-dessinée
Imaginez que vous ne puissiez vivre qu’un jour sur deux.
Tous autant que nous sommes, nous avons peur de l’aliénation. L’idée que nous ne soyons plus maîtres de nos moyens et que ce que nous contrôlions auparavant nous échappe est l’une des pensées les plus angoissantes qu’un être humain puisse avoir.
Au fil des pages de Ces jours qui disparaissent, nous suivons Lubin Maréchal, un jeune acrobate qui s’entraîne régulièrement avec sa troupe pour présenter les meilleurs numéros. Un jour, alors qu’il s’exerce, il tombe et se cogne la tête. Il rentre alors chez lui se reposer, sans soupçonner la suite des évènements.
Le lendemain, tout semble normal. Il court rejoindre son poste de caissier, vanne son meilleur ami, sourit, rigole. Mais ce dernier s’inquiète. « Pourquoi tu as manqué le travail hier ? Nous sommes Mardi, Lubin. »
Pensant avoir fait un black-out, Lubin ne s’inquiète pas plus. Mais le mauvais tour recommence et il ne se réveille que le Jeudi.
Pire encore, alors qu’il s’inquiète pour sa santé, il découvre qu’il semble être actif lors de ses jours d’inconscience. Ses proches lui disent qu’il est étrange, froid et qu’il semble se comporter comme un étranger.
Il réalise alors qu’un jour sur deux, un autre Lubin à la personnalité diamétralement opposée prend sa place. Aucun des deux ne semble savoir d’où le double provient mais ils acceptent la situation et tentent de cohabiter.
Cependant, le deuxième Lubin ne mène pas du tout la même vie que lui. Il ignore ses principes végétariens, ne réalise pas les entraînements nécessaires pour sa carrière dans le cirque et commence même à fréquenter d’autres filles alors que Lubin est en couple.
Cette situation mène la vie dure à Lubin qui est obligé à terme de quitter sa troupe, de rompre avec sa petite amie et de se plier aux exigences de son double.
L’horreur atteint alors son point culminant lorsque Lubin ne reste plus inconscient un jour mais deux. Puis trois. Puis quatre…
Si la plupart des critiques sur Internet estiment que le thème central de l’œuvre est la dualité et la notion d’identité, je pense que le propos est légèrement différent.
L’histoire parle de parasitisme.
Lubin se fait ronger par une identité étrangère qui prend le dessus sur lui, tel un organisme prenant possession de son hôte. Mais qui est le véritable parasite ? Son double est charismatique, travailleur et ambitieux. Sa situation est confortable et enviable. Lubin, quant à lui, est un marginal, par sa situation familiale, ses choix professionnels et son mode de vie. Un personnage secondaire lui demandera même avec venimosité quelle utilité il a au sein de la société. Si ce n’est être un parasite.
En somme, cette œuvre m’a bouleversée. Elle est simple, bien rythmée, esthétique et nous plonge dans la même angoisse de Lubin, nous amenant à nous demander ce que nous ferions si jamais nous étions amenés à nous réveiller en ayant soudainement manqué 24 heures de notre vie.