Blade Runner – Philip K.Dick

Science-fiction

De K. Dick à Scott : N’avez-vous pas peur pour votre âme ?

Le problème avec les adaptations c’est qu’elles ne feront jamais l’unanimité. De Dune au Seigneur des Anneaux en passant par Harry Potter, elles créeront toujours des vagues de mécontentement de la part des fans de la première heure ou des nouveaux arrivants. Pourtant certaines œuvres semblent s’extirper de ces débats interminables, et souvent stériles, et Blade Runner de Ridley Scott, adaptation cinématographique de 1982 du génialissime Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick, en fait partie.


Il va donc me falloir retrousser les manches pour m’attaquer à ce pilier de la science-fiction ayant marquée des générations de spectateurs et faisant figure d’autorité suprême dans le genre. Car bien qu’étant un grand fan du film de ce bon vieux Ridley de par son onirisme fou et sa photographie quasi inégalée, je ne peux pas m’empêcher d’avoir un goût amer dans la bouche à chaque visionnage. Scott a volontairement décidé de modifier le message originel du livre pour fournir une réflexion, certes intéressante mais bien moins complète et pertinente que le matériau originel.


Le cœur du problème n’est pas que Scott ait coupé des pans entiers des Androïdes, un récit complet de K. Dick étant difficilement adaptable, mais bien qu’il ait décidé de transformer dans sa totalité la personnalité de Rick Deckard, le personnage principal, afin d’embrasser les standards de narration du cinéma hollywoodien, en particulier du film noir. Cela devient vite problématique quand tout le message de K. Dick est concentré dans le personnage de Deckard. L’enjeu de cet article va donc être de soulever les différences de formes comme de fonds entre les deux œuvres afin de comparer et analyser deux visions différentes d’un même sujet : ce qui fait l’humanité. Et pour ligne directrice je vais partir de ce que je considère être la principale mise en tension entre le livre et le film. Si Blade Runner cherche à savoir si Deckard est un réplicant, les Androïdes cherchent à savoir si Deckard est humain. La nuance peut paraître subtile mais c’est une fois saisie qu’il devient possible de comprendre la fracture entre les deux œuvres.

NB : Le livre comme le film étant des œuvres extrêmement denses je vous invite à lire leurs résumés Wikipédia qui parviennent à les synthétiser efficacement (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? ;   Blade Runner).

1. Rick Deckard : minable ou héros ?

Tradition dickienne oblige, Deckard est dans le livre un minable. Incapable de satisfaire sa femme (« La plupart des androïdes que j’ai connus avaient plus de vitalité et de désir de vivre que ma femme ») il préfère la droguer grâce à son orgue d’humeur afin qu’elle lui jure quotidiennement fidélité et obéissance. Il est également jaloux de son voisin, plus riche que lui, qui est propriétaire d’un vrai cheval (objet de consommation extrêmement rare sur cette Terre apocalyptique) tandis que lui doit se satisfaire de son pathétique mouton électrique. La principale motivation de Deckard tout au long du roman va donc être d’empocher le maximum d’argent afin de pouvoir s’acheter un animal biologique et donc obtenir une plus haute reconnaissance sociale. On a connu héros plus charismatique et attachant. A l’inverse, le Deckard de Blade Runner est un policier ténébreux qui, on en est certain, cache un cœur tendre sous sa carapace de dur à cuir et de caricature d’enquêteur de film noir. Le Deckard de K. Dick est plein de défauts, il est méprisant, cynique, fainéant et faible alors que celui de Scott est un véritable héros, courageux, intelligent et rebelle. Pourtant, à la fin les deux arrivent à accomplir leur mission. Alors ces différences sont-elles réellement gênantes ? Elles le sont car si les deux atteignent le même port, ils n’y arrivent pas dans le même bateau, n’auront pas fait eu affaire face aux mêmes obstacles et donc aboutiront à des personnalités distinctes. Or, dans Les Androïdes la faiblesse de Deckard est la clé de voûte du message de l’œuvre, éloge du pathétisme typiquement humain, là où sa personnalité dans Blade Runner rempli surtout une fonction archétypale de construction d’un personnage cliché. Aussi, si toutes les mésaventures que subit le Deckard du roman sont à la frontière du pathétique et pittoresque, elles font sens car le personnage est plus proche d’une épave que du super flic mais va, au fur et à mesure du récit, grandir et devenir un héros dickien. Il va devenir un héros minable. C’est-à-dire un individu conscient de ses faiblesses et limites qui les assume pleinement et décide d’aller au bout de l’objectif qu’il s’était fixé. La belle gueule d’Harrison Ford, bien qu’incroyablement charismatique, n’a pas peur de grand-chose et semble déjà au bout de sa quête initiatique. Certes il connaît la fatigue et la douleur, mais il n’a aucun réel obstacle intérieur à franchir, aucun dilemme moral, aucune paralysie à surmonter et dans ce cas, comment peut-il progresser ? Avant que la director’s cut ne vienne apporter une réponse claire, le débat concernant la véritable nature de Deckard faisait rage parmi les fans du film et comment leur en vouloir ? Le personnage d’Harrison Ford est à la limite du mythique. Il n’a presque pas besoin de manger, ses blessures semblent éphémères et il est doué d’une intelligence supérieure à la moyenne. A aucun moment il ne questionne sa mission et s’il la refuse au début c’est uniquement parce qu’il est à la retraite laissant par-là entendre qu’il a déjà eu à faire à du très coriace. Ce qui est également frappant chez lui c’est son côté désabusé, presque rien ne semble l’impressionner, il donne l’impression d’avoir déjà tout vu et vécu ce qui lui permet de prendre du recul sur chaque situation.

En outre, en-dehors de son affrontement avec le réplicant Léon, Harrison Ford agit constamment seul, il n’a pas besoin d’aide pour vaincre les Nexus 6, il est presque aussi fort qu’eux ! Le Deckard du roman a quant à lui besoin d’aide lors de chaque rencontre avec un androïde. Et quoi de plus logique ? Deckard est censé être un simple humain devant faire face à une armada de robots surpuissants dont certains ont été programmés pour accomplir des tâches physiques irréalisables pour un individu lambda. Lorsque Deckard agit seul il commet des erreurs, sous-estime ses adversaires et se fait manipuler mais c’est parce qu’il est victime durant une grande partie du roman qu’il peut renaître à la fin et se révéler apte à vaincre les androïdes restants. C’est la première clé de différenciation entre l’homme et la machine offerte par K. Dick. L’être humain est faible mais est capable de se relever, de toujours aller de l’avant, même si cela signifie allez vers sa propre mort. Un tel mode de raisonnement est inconcevable pour un androïde qui ne se trompe presque jamais et accepte, fataliste, son destin. La chute, voilà ce qui définit le chemin emprunté par Deckard dans Les Androïdes, il ne cesse de perdre pied, d’être dépassé par les événements mais, une fois qu’il a touché le fond, il est capable de se remettre sur ses deux pieds et d’entamer une nouvelle ascension en empruntant un chemin différent. Harrison Ford va lui suivre une ligne droite, accomplir sa mission, sans réellement la questionner car bien qu’il se refuse à « retirer » Rachel, il n’éprouve aucun remord envers les autres réplicants. Ford est le héros américain qui se doit d’être mystifié là où Deckard n’est qu’un individu parmi tant d’autres. Être misérable c’est ce qui fait qu’il est quelqu’un, il pense en minable donc il est.

2. Rachel : princesse en danger ou tueuse de chèvre ?

Rachel, personnage secondaire des Androïdes, est au cœur du récit de Blade Runner, standard du film noir oblige, le flic ténébreux ne peut pas se passer de sa femme fatale. Mais plus que l’importance qui lui ait accordée, c’est la transformation de sa personnalité qui est frappante. Rachel passe d’une androïde manipulatrice sans pitié qui n’hésite pas à envoyer Deckard à la mort à une jeune ingénue qu’il faut protéger. Pourtant, malgré la différence de traitement dans les deux œuvres, sa présence sert à poser la même question : est-il possible d’aimer une machine ? Ridley Scott répond que l’amour entre un être biologique et mécanique, voir entre deux êtres mécaniques, est possible, l’amour ne s’arrête pas à la chair et même un robot est capable d’éprouver de l’empathie. Non seulement Rachel a peur de mourir mais elle a aussi peur qu’un malheur s’abatte sur Harrison Ford dont elle est tombée amoureuse. Avec ce choix de personnalité, Scott marque définitivement la séparation avec le matériel d’origine qui stipulait qu’un androïde ne pouvait pas connaître l’empathie car comme le disait K. Dick lui-même en interview, « Android is a metaphor for people who are physiologically human but psychologically behaving in a non-human way  ».

Le moment clé où la Rachel du film se distingue de celle du livre est sa scène d’amour dans l’appartement de Deckard, simple scène de sexe dans un motel dans Les Androïdes. Car bien que comme Harrison Ford, Deckard commence à tomber amoureux de la belle androïde, il est d’abord guidé par un plaisir corporel qui lui permettrait de relâcher la tension accumulée au cours des dernières 24 heures. D’ailleurs c’est Rachel elle-même qui le prévient, « Je ne suis pas vivante ! Ce n’est pas avec une femme que vous allez coucher. Ne soyez pas déçu, d’accord ? ». Mais si les androïdes sont incapables d’empathie, qu’est-ce qui la pousse à coucher avec Deckard, qu’est-ce qui justifierait qu’elle perde plusieurs heures de transport pour venir satisfaire ses désirs ? Serait-elle un bug dans la matrice ? L’exception qui confirme la règle mais qui serait surtout porteuse d’un nouvel espoir ? Rien de tout ça, il n’y a pas de place pour le romantisme chez K. Dick. Elle couche avec Deckard car elle s’assure ainsi de troubler ses émotions puisque Pris, une des dernières androïdes qu’il n’a pas encore retirées, est la sosie de Rachel. Cette dernière sait donc que cette ressemblance déstabilisera le chasseur de Nexus 6, hésitation qui pourrait se révéler fatal face aux réflexes surhumains des androïdes. Elle n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai puisqu’elle avait déjà séduit un autre chasseur, Phil Resch, qui après cette aventure cessa d’avoir toute forme de pitié envers les machines, chose incompréhensible pour Deckard tant qu’il n’aura pas vécu cette trahison. Mais le pêché de Rachel n’est pas d’avoir déstabilisé Deckard mais d’avoir tué la chèvre qu’il venait de s’acheter, crime ultime dans un univers où les animaux ont presque tous disparus et se vendent à prix d’or. En tuant la chèvre, elle a tué la raison d’être de Deckard qui était déterminé à mener à bien sa mission afin d’empocher la prime lui permettant de rembourser l’emprunt contracté pour cet achat. La mort de la chèvre c’est la mort de Deckard, la mort de ses valeurs et normes, la mort de sa foi, mais c’est aussi le début de sa résurrection. Car la chèvre disparue, il perd tout ce qui le rattachait à son ancienne vie et va pouvoir alors entamer son ascension. La chèvre est sacrifiée pour que Deckard puisse renaître, qu’il prenne conscience de l’absurdité de son existence jusqu’à maintenant. Rachel, loin d’avoir mis des bâtons dans ses roues, a participé à son triomphe final.

3. Roy Baty : Tears in the Rain

« I’ve seen things you people wouldn’t believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate. All those moments will be lost in time, like… tears in rain. Time to die. » Ce monologue, tous ceux ayant vu le film s’en souviennent. Ce sont les derniers mots de Roy Baty, ultime Nexus 6, hors Rachel, encore sur Terre qui hantait les cauchemars de Deckard. Cette scène, si intense en émotion dans le film est sûrement celle qui retranscrit le mieux le message originel du livre. En effet, la grande différence entre les androïdes et les réplicants est que ces derniers ont peur de la mort, la raison de leur lutte est la survie. Leur obsolescence programmée leur apparaît comme une malédiction et ils n’hésiteront pas à tuer pour trouver un moyen d’y échapper. La peur de la mort, la lutte folle et perdue d’avance pour y échapper, n’est-ce pas là un des comportements les plus humains qui soit ? Sûrement, et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle est si peu présente chez les androïdes de K. Dick. Certes ces derniers aimeraient pouvoir triompher de Deckard et passent le roman à fuir les chasseurs, cependant, dès qu’ils sont confrontés au danger de mort, ils font preuve d’une résignation des plus inhumaines. Ils acceptent simplement que leur existence arrive à un terme, qu’ils sont impuissants face à leur destin. Ils embrassent la mort avec une résignation réellement choquante pour un humain, être connu pour son combat éternel et vain face à la mort. Jamais Deckard n’aurait abandonné un affrontement, jamais il n’aurait baissé son arme et accepté de se prendre une balle car il ne craint pas la mort. Mais c’est parce que Deckard est humain. Roy Bati et les autres androïdes n’en sont pas et vont donc lâchement, presque pathétiquement, abandonnés la lutte avant qu’elle n’est atteinte son terme. « La résignation habituelle. L’acceptation intellectuelle, mécanique, de ce à quoi un véritable organisme – avec deux milliards d’années de lutte pour la vie inscrites dans ses gènes – ne se serait jamais résigné ». Ce constat réalisé par Deckard est l’autre preuve de la survie de l’humanité pour K. Dick. Certes l’humanité semble de plus en plus résignée à vivre une vie de vanité, obnubilée par un consumérisme stérile et des divertissements abrutissants, mais néanmoins, elle n’a pas perdu la flamme de la vie, l’instinct de survie. Un homme, aussi faible et pathétique puisse-t-il être, cherchera toujours à lutter contre sa mort, à saisir les moindres perches tendues lui permettant de rester en vie. Un individu est incapable d’accepter sa défaite, il n’a pas de raisonnement logique qui puisse l’amener à dire « Time to die », tant qu’il y aura la moindre étincelle de vie en lui, il continuera à se battre. Voilà l’autre lueur d’espoir que K. Dick voit pour l’humanité, la rage de vivre.

Il est donc extrêmement intéressant de voir Baty prononcer ces mots dans le film car pour la première fois dans le long-métrage, il semble accepter son destin, se résigner à disparaître. Son monologue, bien que fort émotionnellement, suit un raisonnement logique. Une fois mort notre cerveau ne fonctionne plus, il n’apprend rien de nouveau et perd tout ce qu’il contenait, il s’éteint à jamais. Cette réflexion tranche complètement avec la scène précédente où Harrison Ford tente désespérément de s’accrocher au rebord de l’immeuble alors qu’il est sur le point de chuter. Il n’a aucune chance de tenir, il le sait, mais il continue de s’accrocher à quelques secondes de vie supplémentaires tandis que Baty le contemple, interloqué et impressionné. Alors que les dernières forces quittent Harrison Ford, Baty décide de le sauver en le remontant sur le toit de l’immeuble, nous offrant au passage l’image la plus marquante du film.

Comment interpréter cet acte ? Simple respect envers un adversaire digne de valeur ou bien pitié pour un être faible ? Sauvetage d’un camarade réplicant ? Il n’y a pas une unique réponse possible, chacun est libre d’interpréter cette image comme il l’entend. Il serait par exemple possible d’y voir chez Baty la reconnaissance de l’humanité de Deckard qui n’est pas encore condamné à mourir ou encore le fait qu’en étant témoin de la mort de Baty, Deckard pourra transmettre la mémoire de ce dernier à des générations futures. La seule chose certaine est qu’ici le réplicant fait preuve d’empathie et c’est une chose qui peut parfois se passer d’explications. Cet acte, qui sera le dernier de sa courte existence, est son ultime larme mais celle-ci n’est pas destinée à disparaître dans la pluie. Tant que Deckard vivra, le geste de Baty perdura. Le réplicant s’éteint mais sa mémoire, sa personne, survie. N’est-ce finalement pas ce dont il était à la recherche durant tout le film ? Ici, Scott et les scénaristes décident de montrer qu’une machine peut bel et bien être dotée d’une âme, qu’elle est capable de faire preuve d’empathie et tel Dieu qui touche l’index d’Adam, un pont est créé entre le mortel et l’immortel. Lorsque Tyrell déclarait à Baty que « The light that burns twice as bright burns half as long” il n’était peut-être pas si loin du compte, mais il avait tort de penser que la flamme s’éteindrait malgré son éclat aveuglant. Le geste du réplicant est aussi sa geste et il parvient d’une certaine manière à se montrer ici plus puissant que Deckard, il ne tue pas son ennemi mais le sauve. La question de la légitimité du meurtre d’un non-humain était crucial dans toute la réflexion de K. Dick car il considérait que peu importe la victime, un meurtrier, lorsqu’il passe à l’acte, perd une partie de son humanité. Deckard se lance effectivement à la poursuite de tas de ferrailles animés par un sang froid des plus terrifiants capable de les transformer en machine à tuer quand la situation l’exige – ou pas – mais cela ne lui donne pas la légitimité de devenir le juge de leur existence. C’est parce que ces machines sont inhumaines et cruelles (souvenons-nous de Pris torturant une araignée sous les yeux du pauvre Isidore) qu’il faut les épargner, ou du moins ne pas être obsédé par leur élimination. Car si un individu se mettait en tête de les pourchasser et de les détruire, il se retrouverait obligé de se mettre à leur niveau de violence pour pouvoir leur tenir tête et perdrait ainsi à son tour son humanité. Préserver son humanité dans la lutte contre la folie et la cruauté, voilà l’un des fardeaux des hommes du XXème siècle, fardeau que rappelle Baty à Harrison Ford en le sauvant, ce dernier n’est pas encore perdu et doit continuer de lutter.

Baty n’est donc finalement que le reflet brisé de Harrison Ford, il incarne ce que le blade runner pourrait devenir si ce dernier renonçait à son humanité.


4. N’avez-vous pas peur pour votre âme ?

Harrison Ford est-il un réplicant ? Les robots peuvent-ils – sont-ils – être des êtres humains ? Telles étaient les deux questions principales posée par Blade Runner en 1982. Mais ce que K. Dick cherchait à savoir en écrivant Les Androïdes c’était si les humains possédaient encore une âme. Si l’Homme était encore une créature digne d’intérêt suite aux horreurs de la Seconde Guerre Mondiale et à son entrée dans l’ère du capitalisme total. Avec son livre, K. Dick fait office de juge de genre humain, il va décider de s’il doit le condamner à mort ou non. « These defective personalities were so lethal it would be necessary to fight them because they could not be cured » pouvait-on l’entendre dire dans un de ses trop rares interviews. J’aime à croire qu’il ne parle pas ici uniquement des dignitaires nazis mais bel et bien de l’espèce humaine dans son ensemble, d’une espèce de plus en plus déficiente émotionnellement si bien qu’elle doit composer avec un orgue d’humeur pour connaître une joie illusoire, le phantasme d’un mariage heureux et pérenne, une vie faussement remplie de multiples émotions. Un orgue qui ne sert pas à vivre, mais à survivre. D’une espèce si abrutie, si amorphe, que de plus en plus de personnes naissent voire deviennent attardées. Lorsqu’il débute l’écriture de son livre, K. Dick juge que l’humanité en est à son crépuscule, que dans son effort de combattre les monstres, les machines de guerre, elle a perdu son humanité. C’est pour cela qu’il décide de faire de Deckard un chasseur d’androïdes, il souhaite savoir ce qui se passe lorsqu’un individu décide de lutter contre ce qui semble être par définition l’inhumanité. Quelles seront les conséquences de combat ? Si nous tuons un inhumain devons-nous inhumain à notre tour ? Voilà les questions posées dans Les Androïdes. La réponse de K. Dick a déjà été évoquée plus haut. Non l’humanité n’est pas encore condamnée. Tant qu’elle continuera à se battre pour vivre, pour survivre, tant qu’elle acceptera son infériorité criante et son absurdité profonde alors, si elle poursuit sa quête d’élévation, elle sera sauvée. Le salut de l’Homme n’est pas l’übermensch (surhomme) ni l’untermensch (sous-homme) mais tout simplement le mensch, dans sa pudeur la plus totale.

Si Deckard est profondément troublé tout au long de sa mission c’est parce qu’il est tiraillé entre deux visions du monde. Celle, évidente, où la machine surpasse l’homme tant physiquement qu’intellectuellement et semble ainsi destinée à le remplacer. Et celle où l’absence d’empathie chez la machine la rend absolument faible, inférieure, une sous-race d’esclave méprisable et méprisante. Deckard ne parvient pas à trancher alors il tue. Il tue les androïdes car s’il y a bien une chose qu’il sait c’est qu’ils ne sont pas humains. Peut-être n’est-ce pas une raison suffisante pour couper court à l’existence d’une créature mais cela permet au moins de détourner les yeux temporairement de ce terrible dilemme. Mais comment est-il possible pour Deckard d’obtenir une âme s’il se refuse à répondre ? C’est justement parce qu’il est conscient de ce terrible dilemme, c’est parce qu’il refuse de trancher qu’il offre non pas une, mais la réponse. C’est parce qu’il s’attache à la sensualité de Rachel, qu’il tombe amoureux de la voix de l’androïde cantatrice Luba Luft qu’il offre le salut à toute son espèce. Deckard est capable de comprendre la beauté, l’humanité, le génie et de les ressentir. Il s’émerveille, il doute, il pense donc il est (Deckard ne possède d’ailleurs-t ’il pas, à quelques lettres près, le même nom que ce bon vieux René ?). Là est tout l’enseignement de K. Dick. Il ne peut pas dire de manière définitive comme l’homme n’est pas encore devenu ce qu’il a combattu toute sa vie, mais c’est ce doute existentiel qui pèse sur lui qui lui donne de l’espoir. Etienne Barillier concluait la postface des Androïdes en disant qu’il fallait « imaginer Deckard heureux » et j’ai donc envie de conclure cette analyse en disant qu’il faut imaginer K. Dick heureux. Vous avez peur pour votre âme ? Tant mieux. C’est ce que l’écrivain aurait voulu, car tant que vous douterez et penserez, vous resterez des hommes.

Dr Freud

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