Roman – Thriller
Nous sommes en pleine guerre froide, Mao est au pouvoir. La Chine est engagée dans le conflit, et menacée par un code encore plus complexe qu’Enigma à son époque appelé Purple. Les services secrets tentent le tout pour le tout, et font appel à un jeune homme fragile et introverti pour essayer de le déchiffrer.
Le roman, sous des airs d’investigation, suit donc la vie de Rong Jinzhen, peu à l’aise avec les interactions sociales et issu d’une famille très pauvre. Pourquoi lui, me direz-vous ? Parce que c’est un génie insoupçonné des maths.
C’est là à mes yeux que le roman prend tout son intérêt. Loin d’être un simple thriller d’espionnage où « personnage-ultra-intelligent-et-un-peu-chelou n°142 » doit réaliser « exploit-qui-va-sauver-la-nation n°56 », L’Enfer des Codes est aussi l’histoire d’un jeune homme qui flirte (parfois d’un peu trop près) avec la folie et avec le génie.
En réalité, le titre est trompeur. Il n’y a pas un Enfer, mais bien deux. Rong Jinzhen se retrouve du jour au lendemain arraché au peu de famille qu’il a, escorté dans un lieu top secret où on lui demande de travailler sans répit à décoder Purple. Les services secrets chinois sont un semblant d’enfer, mais rien n’égale l’enfer de sa vie psychologique.
Je pense sincèrement que l’aspect policier du roman est prétexte à écrire une véritable fable sur le génie et sur toutes ses facettes. Et Jia Mai parvient à mêler ces deux genres à la perfection, car il connaît tout des services de renseignement chinois, où il a déjà travaillé.
Le roman se décompose en plusieurs phases. Il y a les phases narratives, celles qui font avancer l’intrigue, mais aussi des phases où sont retranscrites des interviews prétendument menées par le narrateur. Prennent alors la parole des proches de Rong Jinzhen, venant enrichir les points de vue sur ce sujet central qu’est finalement le génie.
On se concentre tellement sur la vie de Rong Jinzhen qu’on finit par détester les services secrets, qui ont broyé sa santé mentale déjà fragile, à un tel point qu’en lisant ce livre pour la première fois, je pensais lire une biographie, et j’ai été très déçue quand j’ai appris qu’il s’agissait d’une fiction. Je pense qu’il n’y a aucun mal à dire que Rong Jinzhen finit par devenir notre ami au fur et à mesure que l’on apprend son histoire.
Et malgré tout, bien qu’on parle davantage de génie que d’espionnage, on ne tombe jamais dans les clichés habituels du génie incompréhensible que l’on ne peut qu’admirer. La vie de Rong Jinzhen a quelque chose de résolument émouvant parce qu’elle est difficile tous les jours, parce qu’il peine à se faire accepter, parce que de l’enfance aux services secrets, ses pairs, jusqu’à sa propre famille, le jugent.
Jia Mai nous rappelle ici avec brio qu’aux yeux d’autrui, génie et folie sont les revers d’une même médaille. Il a beaucoup d’intuitions, qui lui permettent d’apprendre les mathématiques en autodidacte, qui lui permettent de mieux comprendre Purple en prenant simplement quelques notes dans un carnet. Il exerce une fascination malsaine sur les autres. Jinzhen souffre car on met trop d’espoirs sur ses épaules. Jinzhen va chuter là où on a toujours pensé qu’il était : dans la folie.
Cet affrontement entre une institution ultra cadrée et un individu qui peine à s’affirmer est aussi une belle leçon de vie sur la différence, que chacun peut adapter à sa propre histoire. Comment se faire accepter quand on ne rentre pas dans le moule ? Quand on dérègle les rouages déjà bien huilés de la société ?
Un livre à clairement mettre entre toutes les mains, pour tous les niveaux d’interprétation possibles. Pour moi, c’est ce critère qui fait un bon livre. Et ici, n’hésitez pas, on est servis.