Le Seigneur des Anneaux – J.R.R. TOLKIEN

Roman – Fantasy

Publiés en 1954 et 1955, les trois volumes du Seigneur des Anneaux content l’histoire de Sam, Frodon, Gandalf et des autres membres de la Communauté de l’Anneau dans leur quête de destruction de l’Anneau Unique, outil de domination ultime de Sauron, être maléfique cherchant à asservir les peuples de la Terre du Milieu. Dès les années 60, le roman de J. R. R. Tolkien rencontre rapidement un grand succès, notamment sur les campus étudiants aux Etats-Unis. Depuis sa sortie, Le Seigneur des Anneaux a été traduit en une vingtaine de langues et a connu un succès mondial. De fait, Tolkien a refondé la fantasy telle qu’on la connait aujourd’hui comme en témoigne l’orque, créature humanoïde peu ragoutante aux longs crocs jaunâtres apparue pour la première fois sous la plume de Tolkien. L’orque est aujourd’hui une figure incontournable de la fantasy largement empruntée depuis par les jeux de rôle, BDs et autres jeux vidéo. Plus encore, si vous vous demandiez pourquoi on attribue naturellement aux elfes des oreilles pointues… et bien c’est parce que Tolkien décrit les oreilles de ses elfes comme étant « en forme de feuilles ».

Comme de nombres succès littéraires, Le Seigneur des Anneaux n’a pas tardé à être adapté sur divers supports, et ce bien avant la trilogie de Peter Jackson. On pourrait notamment citer un projet de dessin animé avorté lancé en 1957, un film d’animation sorti en 1978 et même trois adaptations pour la radio dont la dernière, diffusée en 1981, ne fait pas moins de 13 heures. Allant du naufrage total à une restitution laborieuse, toutes ces tentatives d’adaptations illustrent la complexité et la densité du travail de Tolkien. Ajoutez à cela une tendance du cinéma moderne à massacrer les best sellers du genre fantastique (Eragon, Narnia, c’est vous que je regarde), et vous avez donc tout pour croire que Le Seigneur des Anneaux est inadaptable sur grand écran. Et pourtant voici la trilogie de Peter Jackson, avec ses 17 oscars et une critique unanimement dithyrambique. Mais alors, comment se fait-ce ?

Peter Jackson a tout d’abord eu la sage idée de conserver la structure du récit de Tolkien, c’est-à-dire suivre les hobbits, puis la communauté de l’Anneau, puis faire des allers-retours entre chaque groupe de héros suite à la séparation de la Communauté. Ceci lui permet de donner du rythme à ses films et de respecter l’enchainement et la cohérence des évènements dans le temps. Il a ajouté à cela un prologue, narré en l’occurrence par Galadriel, introduisant d’emblée l’intrigue principale. En ce sens, Jackson fait la distinction entre le récit (les aventures de Sam, Frodon & Co.) et l’intrigue (la quête pour la destruction de l’Anneau). Ainsi, l’intrigue commence avant le récit, et ce dernier se poursuit largement après la résolution de l’intrigue – ce que certaines adaptation et certains détracteurs du début de la Communauté de l’Anneau et de la fin du Retour du Roi ne parviennent pas à saisir. Or, ce qui fait de l’adaptation de Jackson une réussite, c’est bien sa capacité à allier intrigue et récit sans les confondre.

Tolkien est un grand adepte des longues descriptions, ce qui explique en partie la densité de son œuvre, et la difficulté de la rendre à l’écran. Il a également souvent recours aux chansons et autres poèmes pour développer les mythes de son univers. Peter Jackson et toute son équipe sont parvenus, à travers les costumes, les décors, les paysages et les lieux de tournages, à traduire à l’écran l’identité des différentes contrées de la Terre du Milieu. Cette immersion dans l’univers de Tolkien est renforcée par le travail titanesque de Howard Shore à la composition. Il a créé des dizaines de leitmotivs – alors qu’un film lambda en contient rarement plus de 2-3 – pour de nombreux personnages, lieux et factions, dont les plus connus sont très certainement ceux de la Comté, de la Communauté de l’Anneau, des cavaliers de Rohan, de l’Anneau, de l’Isengard et des Elfes de la Lothlórien. Ces compositions sont d’autant plus intéressantes qu’elles reprennent des chants écrits dans les langues créées par Tolkien. Ainsi, les scènes avec les Elfes de la Lothlórien sont agrémentées de chants en Quenya et en Sindarin (langues elfiques), celles dans la Moria, royaume perdus des nains, avec des chants en Khuzdûl (langue communes chez les nains), et celles avec l’Anneau, les serviteurs de Sauron ou se déroulant au Mordor avec des chants en Noir Parler (langue inventée par Sauron pour communiquer avec ses serviteurs). Et même si on ne le remarque jamais, l’effet de dépaysement est garanti.

La réussite de Peter Jackson et de son équipe ne repose cependant pas plus sur tout ce qui a été inclus dans les films que sur ce qui en a été exclu. Autrement dit, s’approprier une œuvre, et tout particulièrement celle de Tolkien, c’est savoir ce que l’on peut ne pas garder pour empêcher le récit de prendre le pas sur l’intrigue. On ne regrettera pas la suppression pure et simple du personnage de Tom Bombadil et de ses glorieuses bottes jaunes. Cet individu pour le moins folklorique ne sert pas l’intrigue et ne ferait que ralentir le rythme des films, luxe que seul l’écrivain peut s’offrir dans ses livres. Plus encore, Jackson fait le choix de passer sous silence le retour de nos héros chez eux et la libération de la Comté de l’emprise de Saroumane (ce qui correspond aux chapitres « Retour vers le pays » et « Le nettoyage de la Comté » du Livre VI). Ces choix entrainent de nombreuses altérations du rapport au récit initial, dont le plus notable est la mort de Saroumane. Tous ces changements sont néanmoins légitimés par la volonté de conserver un certain équilibre entre intrigue et récit.

Cet équilibre est d’autant plus maitrisé par Jackson qu’il se permet de proposer une version longue de son adaptation, dans laquelle il injecte une dose supplémentaire de récit, sans pour autant noyer l’intrigue. Ainsi, la suppression de la libération de la Comté modifie le destin de Saroumane (tué plus tôt en Isengard et non dans la Comté) mais ceci n’est révélé que dans la version longue des films, puisque la mort de Saroumane est non-nécessaire au progrès de l’intrigue. Le plus important dans la quête de nos héros, c’est que Saroumane ait été défait, sa mort, elle, est plutôt anecdotique.

Le cas de Gollum est un autre exemple révélateur de la réussite de la trilogie de Jackson dans la mesure où son équipe et lui sont parvenus à tirer le meilleur de la technologie qui leur était disponible au début des années 2000. Alors Tolkien peut laisser cours à l’imagination de ses lecteurs pour matérialiser Gollum, Jackson doit donner vie à un personnage qu’aucun costume ou maquillage ne pourrait incarner. Gollum est le premier personnage réalisé en effets spéciaux avec un tel niveau d’interaction avec les autres personnages. Andy Serkis doit, pour chaque scène, réaliser une prise avec les autres acteurs, une autre pour numériser son personnage avant de rejouer une dernière fois la scène, micro en main, pour donner à Gollum sa voix.

La transposition à l’écran de la créature Gollum est également rendue compliquée par sa double personnalité. Bien qu’elle ne pose pas de problème à être développée sous la plume de Tolkien, c’est loin d’être évident à réaliser sur grand écran. Peter Jackson va cependant employer des astuces de réalisation ingénieuses pour laisser transparaitre le dilemme Gollum/Sméagol à l’écran. Par exemple, lors des discussions entre Gollum et Sméagol, Peter Jackson prend soin de filmer chaque personnage en champs/contre-champs pour distinguer les deux, tout en faisant des transitions très douces sans cuts entre chaque plan. Autrement dit, Gollum et Sméagol s’opposent radicalement mais ils partagent tout de même le même espace, le même corps. Ceci est également montré dans la scène où Sméagol semble parler à son reflet dans un étang alors qu’il converse avec Gollum. On voit Gollum dans le reflet de l’eau et Sméagol flou et de dos dans le coin du cadre, penché sur l’étang (voir images en fin de document).

L’adaptation cinématographique d’un roman – qui plus est de fantasy – implique de nombreux choix et sacrifices. Bien que l’on puisse saluer la plupart des choix pris pour Le Seigneur des Anneaux, les premières victimes de son adaptation cinématographique sont les personnages « secondaires », Saroumane et Denethor II en tête. C’est d’autant plus dommageable que ces deux personnages illustrent d’une part la futilité de la résistance contre Sauron et brisent d’autre part le manichéisme supposé de l’œuvre de Tolkien.

Saroumane est le chef des Istari, un groupe de Maiar dont Gandalf fait également partie, envoyés en Terre du Milieu pour lutter contre Sauron. Voilà à peu près tout ce que vous aurez de lui dans les films de Jackson, si ce n’est qu’il est l’antagoniste principal du second film et du Royaume du Rohan. Or, Saroumane étudie les armes et artifices de l’Ennemi, ce qui fait de lui un véritable maitre de vérité comme en témoigne la force quasi-mystique de sa voix à l’oreille des hommes. Et c’est dans sa quête de savoir et de connaissance qu’il va développer une fascination pour les anneaux de pouvoirs et se mettre en quête de l’Anneau Unique avant même le retour de Sauron. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il jalouse grandement Gandalf, car ce dernier possède un des trois anneaux offerts aux elfes. Son « alliance » avec Sauron dépeinte dans les films comme pure soumission n’est en réalité qu’un moyen pour Saroumane de trouver l’Anneau plus promptement. Il est également intéressant de noter que l’état-major de l’armée de Saroumane, supposément bâtie servir pour Sauron, est exclusivement composé d’hommes loyaux à Saroumane, aucun orque à l’horizon ! L’ambivalence du profit de Saroumane n’est que le reflet du savoir qu’il a accumulé, mélange de bon et de moins bon. Le personnage de Saroumane cristallise également la critique que Tolkien fait de l’industrialisation du début du XXème siècle et de la quête frénétique vers le progrès, illustrés dans Le Seigneur des Anneaux par les croisements génétiques effectués sur les orques, l’administration de la Comté, la militarisation de l’Isengard. Ceci implique directement le ravage de la forêt de Fangorn et la corruption de la Comté, havre de paix de la Terre du Milieu où on aime les choses simples et la proximité de la nature. Il est d’ailleurs pertinent de tracer un parallèle entre la Comté et l’Angleterre rurale chère à Tolkien.

Denethor II, dernier intendant du Gondor, n’est lui non plus pas épargné par l’adaptation cinématographique. Dépeint comme un vieux grincheux dont les décisions apparaissent toutes plus absurdes les unes que les autres aux yeux du spectateur, il est également enfermé dans la fonction d’antagoniste à l’arrivée de Gandalf et Pipin à Minas Tirith. Or, Denethor est une parfaite illustration de la faillibilité des hommes, il n’est pas mauvais en soi. Tout à fait conscient du danger qui gronde à sa frontière avec le Mordor, Denethor cherche désespérément un moyen de contenir les vagues, toujours plus intenses, d’orques menaçant ses terres. C’est fort de son orgueil que Denethor utilise la pierre de vision de Minas Tirith pour contrer les plans de Sauron. C’est une aubaine sur lequel ce dernier va se jeter pour accabler l’esprit de Denethor de visions funestes et apocalyptiques lui prédisant la chute du Gondor et de la maison des Intendants. Vous comprenez sans doute mieux l’abattement de l’homme lorsque son fils ainé meurt, et que les orques avancent à travers son royaume pour se présenter devant sa porte. Denethor est mentalement vaincu par les malices de Sauron, tout pouvoir lui échappe, il a perdu tout espoir. Denethor finit assez logiquement par se suicider (chose d’autant plus intéressante à la lumière du fait que Tolkien était un fervent catholique). La terrible fin de ce personnage tourne d’ailleurs au grotesque dans les films de Jackson, le spectateur se satisferait surement de cette mort.

Dans son œuvre, Tolkien prend le soin de développer et d’exposer l’histoire et la généalogie des peuples, factions et personnages principaux de son univers. C’est un des moyens les plus efficaces par lequel il parvient à donner le sentiment que Le Seigneur des Anneaux s’inclut dans un univers qui le dépasse. Plus encore, ces descriptions de l’histoire et de la géopolitique de la Terre du Milieu enrichissent les relations entre les personnages, notamment les membres de la Communauté. Plus concrètement, la rivalité entre elfes et nains donne de la profondeur à la forte amitié qui se construira entre Legolas et Gimli ou à l’amour platonique de Gimli pour Galadriel. Dans les films cependant, il n’y a pas de raison particulière à ce que Gimli provoque ouvertement Legolas et la délégation des Elfes sylvestres ; ce qui retire donc à l’arc narratif de ces deux personnages leur fondement.

Pareillement, le personnage d’Aragorn tombe rapidement dans l’archétype de l’héritier légitime caché aux yeux du monde dont la destinée est déjà toute tracée. Ajoutez à cela sa romance (ligne incontournable du cahier de doléance du blockbuster à gros budget) assez plate avec Arwen et on se retrouve avec une version d’Aragorn qui est loin de se distinguer pas par son originalité. Or, le personnage d’Aragorn est intéressant dans la mesure où il permet la réunification des royaumes d’Arnor et du Gondor du fait de son ascendance númenorienne. Cela fait de lui un homme à part aux yeux des autres, et contrairement au vagabond exilé de Jackson, Tolkien fait de lui une véritable figure quasi christique.

Aragorn est un des seuls personnages à « ne servir aucun homme », il est probablement l’homme le plus redouté par Sauron (Maia déchu qu’on peut aisément rapprocher de Satan), c’est lui qui accorde le pardon à Boromir, confessant ses fautes aux portes de la mort. Plus encore, Aragorn réalise un véritable « miracle » dans les Maisons de Guérison de Minas Tirith en soignant de nombreuses victimes de l’Ombre Noire, mal incurable répandu par les Nazgûls, parmi lesquelles figurent Faramir, Merry et Eowyn.

Somme toute, malgré quelques sacrifices regrettables mais tout à fait compréhensibles, l’adaptation cinématographique de Peter Jackson est une franche réussite. Il a su se réapproprier le monstre sacré qu’est Le Seigneur des Anneaux tout en proposant une œuvre indépendante du roman de J.R.R. Tolkien.

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